Le dimanche 20 février, jour de "l'éveil national à la Kasbah"‑! Le rendez-vous était fixé quelques jours avant. "Soyons tous nombreux pour dire non au gouvernement de la duperie", lit-on sur les statuts des participants. Le jour j, on se rend à la place de la Kasbah. Une image plus que marquante nous frappe en arrivant sur les lieux, des personnes ont assiégé les chars de l'armée tout sourire et reconnaissants. Ils acclamaient les soldats et se faisaient prendre en photo avec eux. Ces derniers se prêtaient allègrement au jeu. On essaye d'apporter un bémol à cette effusion de sentiments, on nous explique qu'à leur arrivée, la marche des premiers manifestants a été entravée par des barrières. En exigeant d'ouvrir le passage, ils n'ont pas tardé à voir réagir les forces de l'ordre qui ont opté pour la manière forte (pour changer un peu‑!). En effet, un des agents a utilisé sa matraque en frappant violemment sur les mains d'un jeune manifestant. Un geste qui a , paraît- il, provoqué la réaction d'un soldat qui n'a pas hésité à le défendre. Nombreux étaient ceux qui ont répondu à l'appel. Majoritairement de Tunis, ils ont été rejoints, par la suite, par d'autres régions (ceux qui n'ont pas encore été interdits de passage par les forces de l'ordre). Un rassemblement on ne peut plus pacifique composé de femmes de tous âges, de personnes âgées mais également de familles accompagnées par leurs enfants (des bébés même!). Ils sont venus tous crier leur colère contre un gouvernement jugé illégitime et incapable de gérer les intérêts de la masse. "On en a marre des mensonges et des duperies‑!" ou encore "Gare à tous ceux qui veulent faire avorter notre révolution", clament certains. Parmi la foule, la présence de jeunes personnes arborant des brassards blancs nous interpelle, on nous dit que ce sont les membres du comité d'organisation du sit-in. "Nous nous sommes organisés pour contrer toute tentative d'infiltration, pour sécuriser les lieux, gérer l'arrivée d'autres manifestants et aussi veiller à la propreté des lieux", déclare l'un d'eux et de reprendre‑: "Nous voulons prouver à tous que nos revendications sont légitimes et que nous voulons les réclamer d'une manière civilisée et pacifiste. Pour cela nous empêcherons toute tentative pernicieuse visant à faire avorter notre rassemblement et légitimer ainsi une quelconque intervention des forces de l'ordre comme ce fut le cas avec nos frères de la caravane de la liberté". L'idée est de prendre exemple des expériences précédentes, notamment celle de la caravane de la liberté qui a été coupée dans son élan par une manigance pernicieuse et vicieuse orchestrée par ceux qui en veulent à la révolution, nous explique un autre organisateur. " Nous devons veiller à ce qu'il n'y ait pas d'infiltrations et dans le cas de la présence de faiseurs de trouble nous devons en aucun cas céder car cela constituerait un alibi pour l'intervention des forces de l'ordre. Pas de régionalisme ni d'extrémisme religieux et surtout pas de revendications sociales‑!", précise ce dernier. Fermes, sûrs d'eux et obstinés afin de défendre la révolution, le bébé de la nation qui entame ses premiers pas et qui titube encore. Un bébé pour lequel ses géniteurs ont donné leur vie, leur jeunesse et leur sang. Nous quittons le petit groupe qui continuait à s'organiser pour la nuit,l'idée étant de poursuivre le sit-in jusqu'à ce que leurs voix soient entendues‑: "Itissam hata yaskot al nidham" (sit-in jusqu'à ce que le gouvernement tombe) clamait la foule. Entre-temps, un communiqué rédigé auparavant par le comité d'organisation commençait à circuler, on en attrape un au passage, on y lit les revendications suivantes qui font écho aux slogans scandés par la foule‑: les revendications des manifestants de la Kasbah : Nous autres filles et garçons de Tunisie sommes en sit-in à la Place de la Kasbah le dimanche 20 février 2011, par loyauté au sang versé des martyrs, et dans la continuité des luttes héroïques de notre peuple, contre les résidus de la dictature, le gouvernement d'usurpation et ses associés des forces rétrogrades contre-révolutionnaires. Nous proclamons la constitution du comité d'organisation d'un sit-in ouvert jusqu'à la chute du gouvernement autoproclamé, et la satisfaction de toutes les demandes légales de notre peuple, à savoir entre autres revendications, la mise en place d'une Assemblée constituante, la dissolution définitive du RCD , la dissolution de la Chambre des députés et de la Chambre des conseillers, la suspension des activités des commissions d'investigation sur les dépassements et sur les abus et leur reconstitution en vue d'en faire des commissions indépendantes. Nous exigeons également l'instauration d'un régime parlementaire... Gloire aux martyrs, vive la lutte de notre peuple. On apprendra par la suite que durant la nuit l'armée a tenté de se retirer, les manifestants, désespérés ont empêché le passage des chars et ont sollicité sa protection. "Yé général yé Ammar winou waadik lel thouar" (Général Ammar où sont donc vos promesses de protéger la révolution !) criaient la foule dans ce sens. En réponse à cela l'armée a finalement décidé de garder les lieux, les 300 personnes qui ont tenu le coup malgré le froid et les conditions défavorables (on aurait interdit le passage des vivres de l'eau et des couverture) ont passé la nuit à la belle étoile en rêvant d'un avenir meilleur... Le sit-in s'est poursuivi le lendemain, renforcé par la participation de plusieurs étudiants et l'arrivée attendue des délégations de l'intérieur. A suivre