Expert dans l'art de fouiller les cœurs et les âmes, maître de l'analyse psychologique, jamais à court d'idées, Anouar Attia a signé avec cette rhapsodie à la tunisienne une immense variation d'un seul ton. Un livre fétiche, une perle qu'on aura plaisir à lire et à offrir. Ce livre, parvenu à nos yeux à peine trois mois après L'Histoire et la Chair, paru dans les Editions Sahar en 2009, a nécessité une période d'incubation certes très brève mais, cependant, assez suffisante pour que tous les ingrédients de la réussite y soient réunis. Récit fragmenté en petites parcelles de vérité, récit éclaté en secrets jalousement gardés et enfouis tout au fond d'une mémoire qu'on refuse de ressusciter de peur d'éclabousser le souvenir des êtres chers qui nous ont définitivement quittés, Tunisie Rhapsodie est, à la fois, une pure fiction et un récit autobiographique concis qui réussit à brouiller les cartes en donnant en pâture le drame de l'amour et des passions qui deviennent dévorantes lorsque les protagonistes, qui jouent les premiers rôles, appartiennent à des ethnies en conflit et entretiennent des rapports de dominants à dominés. L'action des événements, par moments cocasses, se déroule dans un des fiefs par excellence du colonialisme, Mateur, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Une date décisive et cruciale pour la Tunisie en lutte pour la reconquête de sa liberté et de son indépendance. De ce drame de l'amour interdit vont naître Férid, héros de la fiction et présumé fils illégitime de Bourassine, «cauchemar des maris de Mateur à Joumine», et de Blanche, la femme du colon Pierre, ainsi que Francine, fille adultérine de Pierre et de Oumelkheir. Férid et Francine, arrachés à leurs mères, vont se retrouver de part et d'autre de la Méditerranée, vouant ainsi Blanche et Oumelkheir à une folie destructrice. Un destin cruel et sordide qui vient punir les coupables d'adultère, penseront les gens du village. Recherche identitaire Parvenu à l'âge adulte, Férid commence à soupçonner l'existence d'un lourd secret sur sa véritable filiation et d'un black-out, un silence complet sur ses origines. Il n'a de cesse que tout soit élucidé. Il interroge les témoins survivants, les anciens et les parents. Personne ne pipe mot. Ce n'est qu'en confessant, en fin de partie, un vieil oncle, lequel était autrefois réticent à lui livrer le récit de sa vie, qu'il a un semblant de vérité. Et si, en définitive, il n'était pas celui qu'il croyait être? Et si toute sa vie, son combat n'avaient été qu'une imposture, une illusion? Il en est de même pour Francine et sa fille, la belle Emyrka, venues pour la première fois en Tunisie, se recueillir sur la tombe de l'ancêtre, Oumelkheir, à Mateur, morte après avoir perdu la raison à la suite de la mort de Pierre, son amant, et surtout Francine, sa fille, qu'elle croyait morte dans un incendie criminel. A mesure que les langues se délient et que l'intrigue s'éclaircit, après le passage de Francine et de sa fille, un demi-siècle après la tragédie, la nature s'épanouit, pousse et fleurit. Dans cette fiction émouvante et cruelle relatée dans un texte rythmé et sur un ton sans complaisance, Anouar Attia a dévoilé les blessures du passé non encore cicatrisées. Il a capté l'air du temps, l'inhumanité sereine, ne s'est également point privé de fantaisies. En conclusion, il ne s'est, à aucun moment du récit, laissé dépasser par son sujet. Ses personnages, humains et attachants, ont accompli leur propre travail de mémoire et retrouvé leurs racines, grâce à ce magnifique récit où alternent les épisodes douloureux et, parfois, cocasses.