L'industrie touristique constitue l'un des secteurs où l'on doit le plus compter sur l'intervention humaine pour livrer «l'expérience» promise, souvent associée par le client au choix d'une bannière, et ce, particulièrement dans l'hébergement. Le contact initial entre la clientèle et l'organisation s'effectue habituellement par les employés. Ce sont eux qui véhiculent officiellement l'image de l'entreprise et qui donnent la première impression aux visiteurs. Cependant, mal valorisé, cet élément-clé dans notre industrie d'accueil affiche son mécontentement et brandit, depuis l'avènement de la Révolution, des banderoles et scande dans les halls des hôtels des slogans qui en disent long sur la réalité du secteur. La Révolution du 14 janvier a mis au grand jour les maux qui traumatisent depuis belle lurette le tourisme tunisien. Corruption, abus de pouvoir, détournement de fonds, squattage de terrains, déclassement abusif de sites historiques, liquidation de sociétés publiques pour seule cause d'investir son champ d'action (Hajj, Omra, etc.), introduction d'une nouvelle forme de monopole sur des activités juteuses telles que les croisières et la liste n'en finit pas. Cependant, dans ce tumulte, des voix s'élèvent pour crier au loup sans pour autant voir sa queue. C'est que les employés du secteur, au pas de charge, tirent à boulets rouges sur des patrons accusés d'être à la botte du régime déchu. D'autres, notamment dans le secteur privé, revendiquent des droits légitimes. C'est pourquoi notre propos se limitera au seul cas des protestations des salariés dans le secteur du tourisme. Et pour cause, la dégradation de la qualité des services qu'on s'est longtemps escrimé à dépeindre, sous diverses formes liées notamment à la formation du personnel, aux prix de vente pratiqués et à d'autres facteurs, n'ont fait que renvoyer aux calendes grecques le vrai diagnostic sur la médiocrité des services dans le tourisme tunisien. C'est que dans la foulée des mouvements de contestations, les employés du secteur ont brandi des slogans qui en disent long sur la réalité du secteur. En effet, longtemps considérés comme une variable ajustable dans la gestion hôtelière, ces employés ne sont plus disposés à jouer un rôle de comparse dans la tragédie comique du tourisme tunisien ou à se laisser manipuler par les marionnettistes, les structures professionnelles, qui pèsent de tout leur poids dans les négociations sociales. C'est que les entreprises évoluant dans une industrie à visage humain ne peuvent se prévaloir finalement que de la richesse des hommes qui les constituent. Aujourd'hui, ces hommes revendiquent d'être mieux traités pour qu'ils puissent traiter comme il se doit les clients. En effet, plusieurs hôteliers, restaurateurs et transporteurs oublient souvent qu'investir dans les employés, c'est augmenter la satisfaction et la rétention du personnel, la qualité du service et la productivité. C'est aussi mieux vivre tout changement avec des employés qui veulent contribuer à la réussite de l'établissement et qui sont concernés par la pérennité de l'emploi. Il faut garder à l'esprit que dans ce secteur, la motivation est un élément incontournable. De ce fait, «attitudes, gestes, attentions et actions devraient se multiplier pour mobiliser les troupes, rehausser la productivité et réduire le taux de roulement», selon les analystes. Et l'on ne cessera jamais de le rappeler, «intégrité, discours positif, confiance, respect, écoute, encouragement, implication des employés dans les changements, information, formation, efforts récompensés, environnement de travail agréable, ou encore d'autres approches, plus spécifiques, concernant les besoins individuels tels que la promotion, la liberté d'action, la flexibilité des heures de travail, un programme de formation adapté au cheminement personnel de l'employé, des défis stimulants et une grande latitude pour régler des problèmes» sont à l'évidence les clés du succès dans cette industrie à visage humain. Certes, l'on invoquera à tort la situation délicate par laquelle passe le secteur actuellement et ce trou d'air qui réduit en ce moment les majors de la profession à de simples spectateurs à la merci des tour-opérateurs, pour blâmer ce comportement révolutionnaire. Il n'empêche, ce n'est pas non plus le moment de se livrer au jeu du chat et de la souris avec les salariés. Déjà par le passé — saisonnalité oblige —, certains employés se plaignaient de «harcèlement, de pression vers la sortie, pendant la basse saison». Certains employés d'établissements hôteliers engagés dans des plans de mise à niveau, d'extension ou de réaménagement évoquent avec des trémolos dans la voix le « stress au travail, parfois de manière dramatique, et s'interrogent même sur la pérennité de leurs emplois». Il s'agit dans la plupart des cas d'un type de gestion autoritaire et coercitif où il importe peu de valoriser l'esprit d'initiative et où l'on n'accorde pas d'importance au bien-être de l'employé dans l'hôtel, l'aéroport, le restaurant ou même dans un bus. La révolution nous offre donc une occasion pour une réorganisation en profondeur du secteur touristique. Car les manifestations pacifiques qui s'imposent de par la grande accumulation de malaises dans le secteur ne peuvent nuire à l'image du secteur davantage qu'un service lamentable prodigué aux clients par des employés mécontents. Vus sous cet angle, les effets de la Révolution, aussi traumatisants soient-ils pour les patrons et aussi contraignants soient-ils pour les directions, ont au moins la vertu d'intégrer la question sociale du secteur dans une problématique plus large que celle de simples économies d'échelle. En effet, en dépit du sombre constat dans lequel se débat le secteur hôtelier tunisien actuellement, le tourisme constitue habituellement «un secteur attirant des travailleurs motivés, où la performance d'un hôtel – qui se mesure selon le revenu par chambre (RevPAR) et le tarif moyen (ADR) – dépend aussi de sa capacité de faire de ses employés de première ligne des ambassadeurs dignes de la bannière qu'ils représentent». Bien évidemment, il est difficile d'exiger un service exemplaire d'un employé insatisfait de son environnement de travail. Cependant, il ne faut pas oublier que le positionnement d'une organisation et son image se construisent autour d'employés fiables et surtout passionnés afin de rendre le séjour d'un visiteur inoubliable. Il s'agit d'un travail global, allant du préposé à l'accueil jusqu'à la femme de chambre. Bien sûr, c'est cette valeur ajoutée dans l'attitude des employés du secteur qui peut faire toute la différence et se traduire par une expérience exceptionnelle pour le visiteur. Ce sont également des valeurs simples et peu coûteuses qui devraient guider les pas et les actions des dirigeants et des employés des établissements au bénéfice d'une vraie culture du service. En effet, développement durable, créativité, engagement, convivialité, entraide et plaisir responsable sont autant de valeurs au centre desquelles on trouve toujours le client et qui devraient être mises en avant pour avoir des résultats éloquents. En effet, pour que les employés d'un hôtel ou d'un établissement touristique puissent jouer un rôle stratégique dans l'atteinte des objectifs de rentabilité, de qualité et de durabilité de la destination, il faut prendre le temps de s'intéresser à eux, leur accorder l'attention nécessaire et faire en sorte qu'ils adoptent une attitude positive et accomplissent leurs fonctions avec entrain et plaisir. La Révolution est donc le moment idéal pour instaurer de nouvelles valeurs et pratiques qui conféreraient à l'établissement ou à une équipe son identité et moduleraient son fonctionnement. Il s'agit tout simplement de savoir donner goût aux employés pour qu'ils s'attachent à l'établissement et déploient tous les efforts pour mieux «performer». Car mobiliser les employés, c'est donner un sens à leur travail, leur donner des objectifs à atteindre, offrir une qualité de vie au travail et leur manifester de la reconnaissance et de la considération.