Par un collectif de médecins tunisiens * Avec la démission de M. Mohamed Ghannouchi, la volonté du peuple s'est, une fois de plus, logiquement imposée. Indépendamment de la question de la probité personnelle et de la compétence de M. Ghannouchi, son nom résonnait comme un symbole persistant de l'ancien régime honni. Il n'y aura pas de gouvernement possible sans une écoute et un dialogue quotidiens avec les acteurs majeurs de la révolution : la jeunesse, les régions de l'ouest… Quelle est la prochaine étape ? La publication par le nouveau gouvernement d'un calendrier précis jusqu'aux futures élections est très attendue. Mais seule l'élection d'une Assemblée nationale constituante semble aujourd'hui à même d'exprimer la souveraineté du peuple dans le choix du régime politique futur. Sa mission constituante accomplie, l'Assemblée nationale prochainement élue pourra demeurer pour se charger de la fonction législative, comme cela s'est déjà produit dans d'autres pays. Cette Assemblée nationale constituante devra être vigilante quant à la séparation effective des trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire, car seule une séparation efficiente sera garante d'une démocratie réelle et pérenne. Les députés du peuple auront à se prononcer sur plusieurs scénarii proposés par le conseil de révision de la Constitution dirigé par M. Iyadh Ben Achour. Faut-il se diriger vers un régime présidentiel à l'américaine ou le chef de l'exécutif est élu directement par les citoyens‑? Il s'y associe un contre-pouvoir législatif pouvant démettre le président (comme cela a failli arriver à Bill Clinton ) et un contre-pouvoir judiciaire (Cour suprême) dont les membres sont révocables uniquement par le pouvoir législatif. Faut-il se diriger vers un régime semi-présidentiel à la française où le chef de l'Etat est élu au suffrage universel direct avec des prérogatives propres mais où le gouvernement est responsable devant le Parlement‑? Faut-il enfin se diriger plutôt vers un régime parlementaire comme dans la majorité des pays européens (Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Espagne…) et plusieurs pays musulmans émergents tels que la Turquie (17e puissance économique mondiale) ou la Malaisie. Dans ce régime parlementaire, c'est le chef du parti arrivé en tête aux élections législatives qui devient le chef du gouvernement (Premier ministre, chancelier…). Il constitue une majorité parlementaire, en réalisant au besoin une coalition de partis autour d'une plateforme politique. Le gouvernement est responsable devant le Parlement et doit démissionner dès qu'il perd sa majorité parlementaire. En contrepartie, le chef de l'exécutif peut dissoudre le Parlement. L'inconvénient de ce type de régime est l'instabilité qui peut résulter d'alliances parlementaires éphémères, en particulier lorsque le paysage politique est trop émietté. Mais l'énorme avantage de ce régime parlementaire est celui de prémunir à jamais notre pays de toute tentation autoritaire d'un seul homme. L'expérience de ces dernières années a montré que même la Constitution n'est pas un garde-fou suffisant par elle-même, puisqu'elle peut être allègrement modifiée par un référendum truqué, ouvrant la voie au pouvoir absolu. Le deuxième avantage du régime parlementaire est d'introduire définitivement dans le jeu politique le mouvement islamiste qui fait partie intégrante de notre paysage politique, qu'on le veuille ou non. Ce mouvement doit cesser d'être un repoussoir qui alimente tous les fantasmes et qui ouvre la porte à toutes les compromissions. Il y a la place en Tunisie pour un parti démocrate musulman sur le modèle de l'AKP turc de M. Erdogan qui respecte la démocratie, les acquis de la femme et la laïcité. Une charte nationale devra être signée par tous les partis sur les valeurs fondamentales qui font l'objet d'un consensus large dans notre pays (libertés individuelles, égalité de tous devant la loi, Code du statut personnel, etc.). Tout parti qui ne respecterait pas cette charte nationale deviendrait illico anticonstitutionnel. En s'inspirant des avantages et des défauts de toutes les formes de démocraties existantes dans le monde (la démocratie parfaite n'existant pas), la Tunisie doit pouvoir mettre en place le modèle démocratique que ses citoyens auront choisi à travers le vote de leurs députés. N'oublions pas qu'il y a plus de 2.000 ans déjà, notre pays a su inventer, avant la Grèce, le concept démocratique. L'organisation politique de Carthage était louée par de nombreux auteurs antiques qui mettaient en avant sa "réputation d'excellence". Le grand Aristote lui-même dépeignait le régime de Carthage comme un modèle de constitution équilibrée pour l'époque avec 2 suffètes élus pour 1 an et une assemblée du peuple qui se réunissait dans l'agora à côté du port punique. Bien plus tard, en 1861 sous le règne de Sadok Bey, la Tunisie devient le premier Etat arabe à adopter une constitution. Sachons renouer aujourd'hui avec notre héritage pour mettre en place le premier régime arabe démocratique et pluraliste. N'en doutons pas, ce sera un modèle pour l'ensemble du monde arabe post-révolutionnaire. * Sept signataires