Par Mohamed Hédi Khélil * Sous la plume de Béchir Ben Yahmed, je relève dans Jeune Afrique du 6 mars 2011 cette phrase porteuse d'un sens profond : «Nous devons savoir que dans les pays pauvres dont les institutions sont inexistantes ou faibles, la route qui mène de l'oppression à une démocratie stable est longue et difficile» Cette affirmation me rappelle une évidence admise par tous, à savoir que l'éducation peut atténuer ces difficultés, car elle constitue la base fondamentale de la construction de l'avenir et peut, à mon humble avis, favoriser un plus grand respect des valeurs démocratiques. Mais faut-il d'abord essayer de cerner le sens du concept démocratique. Peut-on considérer la démocratie comme étant un ensemble d'institutions ? Ou bien est-elle un mode d'organisation — clés en main — qu'on peut implanter tel quel dans tout pays pour lui permettre d'accéder à la démocratie ? Est-ce, comme le définit A. Lincoln — le gouvernement du peuple par le peuple ? s'agit-il d'un régime politique fondé sur la reconnaissance des droits de l'Homme, droit naturel à s'exprimer, droit à épanouir sa personnalité, droit à n'être soumis à aucun arbitraire de l'Etat ? Est-ce une conception morale qui doit se manifester dans le comportement quotidien de chaque citoyen dans l'exercice de ses droits civiques ? Est-ce enfin une pratique quotidienne à travers laquelle le citoyen contribue à la prise de décisions qui touchent aussi bien sa vie que la société ? Ces interrogations ne permettent pas de faire une définition unique de la démocratie mais elles nous amènent à la présenter comme étant un édifice fondé sur un ensemble de valeurs et dont la construction doit se faire progressivement et sans précipitation, et il appartient à chaque pays de construire le moule de sa propre démocratie, de le sculpter avec les instruments dont il dispose et de le moduler en tenant compte de son génie et de son identité culturelle. La conception de la démocratie faite selon l'approche précédente nous facilite la tâche d'identification des valeurs démocratiques que nous présenterons ci-après: - La liberté individuelle (Liberté d'opinion, d'expression, de réunion, d'association …) qui rejette toute contrainte, associe les gouvernés à participer à l'exercice du pouvoir et permet de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. - La justice sociale : qui empêche que la liberté et la prospérité ne soient le privilège que de certaines classes, car c'est la justice qui assure l'égalité de tous : égalité civile et juridique, égalité politique et économique. - La tolérance : qui consiste à apprendre à connaître autrui, l'apprécier, admettre ses droits, l'écouter et dialoguer avec lui, car c'est dans la tolérance que s'enracine la démocratie - L'ordre : qui doit être assuré par le respect de la loi et par la volonté de tous. D'autres valeurs peuvent être citées et qui ne sont pas de moindre importance, telles que la loyauté, l'amour d'autrui, la probité, la sincérité et la franchise. S'il apparaît relativement aisé de réaliser un consensus sur un groupe de valeurs universellement vénérées et figurant dans les constitutions des différentes démocraties, il n'en va pas de même s'agissant de traduction de ces valeurs dans des normes de conduite sociale, vu qu'elles sont de tout genre éthiques, civiques et esthétiques autrement dit à caractère culturel. Ainsi la démocratie est une partie de la culture qui ne peut être séparée de la connaissance, donc de l'éducation. Ce qui nécessite la mise en œuvre d'une politique d'éducation pouvant favoriser cette culture. Nous savons que l'école n'est pas seulement une institution chargée de développer le savoir, elle est également un lieu privilégié où on apprend aux enfants leurs droits et le bon usage qu'ils doivent en faire, où on leur inculque les valeurs humaines. Mais ces valeurs peuvent-elles être enseignées ou s'apprendre comme n'importe quelle discipline? L'école est-elle en mesure d'assurer aux jeunes une initiation à ces valeurs ? Quels programmes faut-il adopter et quelles méthodes appliquer ? Ce qui nous conduit à articuler la politique d'éducation autour des axes suivants: - Elaborer des programmes appropriés : pour que ces valeurs se fassent partout sentir, directement dans les manuels scolaires d'éducation civique, d'histoire, de philosophie et indirectement dans les autres manuels. Ces programmes pourraient être répartis sur toute la scolarité en tenant compte des facultés d'assimilation des jeunes. - Concevoir une éducation selon le principe de la liberté : qui permet une construction autonome par l'apprenant d'un système de valeurs qui répond mieux aux exigences de la société civile. Une telle méthode permet «d'éviter de traiter les jeunes avec injustice et brutalité, pour ne pas les rendre faibles, portés au mensonge et à l'hypocrisie et perdre par conséquent les sentiments qui font honneur à l'homme» (Réflexion du grand philosophe tunisien Ibn Khaldoun du 14e siècle developpée dans le discours sur l'histoire universelle). - Renforcer le caractère universel de l'éducation et l'ouvrir sur le monde extérieur par la maîtrise des langues étrangères et des technologies de communication de façon à permettre aux citoyens d'accéder aux productions de la pensée humaine, aux sciences et aux valeurs universelles ; ce qui contribuerait au développement des liens de compréhension mutuelle et de coopération entre les peuples. - Aménager l'espace scolaire : de façon à créer, au sein de l'école un micro-climat social fondé sur la vie associative où on introduit certains ingrédients démocratiques qui peuvent contribuer à la formation de le citoyenneté. Toutefois, il faudrait que le passage de ce micro-climat en climat réel politico-soial ne soit pas brutal pour que le jeune ne perçoive pas de contradiction entre la formation qu'il reçoit et les réalités auxquelles il se trouve confronté en dehors du milieu scolaire. Une telle éducation est-elle suffisante pour favoriser un meilleur respect des valeurs démocratiques, sachant que l'enracinement de ces valeurs a besoin d'un temps plus long pour se réaliser? L'histoire est riche d'exemples de pays où la démocratie avant de s'implanter solidement a subi plusieurs revers, car les dangers qui menacent les fondements de la démocratie sont considérables parmi lesquels nous pouvons relever les attitudes de discrimination et d'extrémisme. Aucun pays quelle que soit sa tradition démocratique ne peut prétendre être à l'abri de ces dangers. L'identification de ces risques est d'une grande utilité pour les prévenir, les déceler à temps et les combattre ; c'est le devoir de tous les citoyens. Les pédagogues, les institutions éducatives, la famille et les médias doivent contribuer ensemble à l'action éducative pour que l'école devienne un lieu privilégié d'exercice des droits et responsabilités inhérents à la citoyenneté, mais cela suppose que l'école s'ouvre sur son environnement pour pouvoir établir des relations de partenariat utiles permettant de placer l'éducation au centre de l'édifice démocratique. * (Educateur retraité)