Le séminaire «De la révolution à la démocratie : les leçons transmises par les transitions démocratiques», organisé par Al Kawakibi Democracy Transition Center, les 30 et 31 mars à Tunis, se propose de défricher le terrain devant les acteurs politiques tunisiens actuels, afin d'aider à la résolution des différentes problématiques de la transition et notamment le choix du régime politique et du mode de scrutin en vue de la Constituante. La journée d'hier a vu la tenue de trois sessions sur les six prévues. La première a vu M. Mohsen Marzouk, président du centre, aborder les modalités de gestion du processus de transition. La seconde a traité des choix principaux posés par la préparation de la Constitution et la réforme des institutions nationales. La troisième a posé la question de savoir quels sont les opportunités et défis essentiels qui s'offrent aux élections prochaines, et comment s'y préparent les partis ? Dr Daniel Calingaert, de l'Institut américain Freedom House, a passé en revue les différents modes de scrutin et les différents régimes politiques possibles, indiquant que les peuples en révolution sont tentés de s'opposer radicalement au type de système dont ils viennent de se débarrasser. Selon lui, le régime présidentiel qui est stable présente l'inconvénient, en cas de mauvais choix, de devoir attendre que s'écoule tout le mandat du président pour procéder au changement. Ce alors qu'en régime parlementaire, il suffit de mettre le gouvernement en minorité. Mais ce dernier présente un risque de grande instabilité. C'est ainsi que l'Italie a, en moyenne, un gouvernement tous les ans, et que la Belgique est restée une année entière sans gouvernement. L'orateur qui constate que, tout comme les citoyens des pays de l'Est, les Tunisiens ne veulent pas entendre parler de régime présidentiel, attire l'attention sur le système parlementaire allemand qui a su atténuer l'instabilité par des modalités spéciales pour tout retrait de confiance au gouvernement. Et M. Calingaert de suggérer un régime semi-présidentiel qui associe les avantages des régimes présidentiel et parlementaire, mais aussi leurs inconvénients. Comme pour dire à l'assistance qu'il n'y a point de régime parfait. S'agissant du modes de scrutin, il a préconisé la proportionnelle, dans la mesure où elle permet une parfaite représentation du rapport des forces entre les partis et une plus grande place aux femmes et aux minorités. Auparavant, M. Mohsen Marzouk a mis en garde contre toute précipitation dans la modernisation des institutions républicaines, afin d'éviter tout risque d'avortement. En particulier a été évoquée la question de la laïcité qui divise beaucoup et risque de détourner les débats et les citoyens de la question essentielle qui est la démocratie. Pour le président du Centre Al Kawakibi, trois axes essentiels doivent s'offrir au débat : le socioéconomique, le politique (incluant la dimension culturelle) et la question de la sécurité. Le Hongrois Matyas Eorsi, politicien et militant des droits de l'Homme, a lui aussi une préférence pour le scrutin proportionnel. Il estime que le régime présidentiel et le mode de scrutin majoritaire encouragent le retour à la dictature. Le conférencier a appelé à veiller à ce que les lois ne puissent pas affaiblir les options de la nouvelle Constitution, et ce, grâce à un contrôle de la part des citoyens qui doivent être en mesure de discuter librement les lois et décisions défendues par le gouvernement. En plus de l'impératif de la mise sur pied d'un tribunal constitutionnel. Quant à l'amendement de la Constitution, il doit être ralenti au maximum et faire l'objet de procédures complexes repoussant les tentatives d'incurver le texte fondamental de la République. L'orateur a, d'autre part, suggéré le recours au référendum pour éviter une trop grande puissance des partis politiques. M. Matyas a prié les Tunisiens d'essayer d'éviter les erreurs des autres pays, tout en reconnaissant que nous avons le droit de faire nos propres erreurs. Car c'est ainsi que les Tunisiens verront leur expérience se transformer en référence internationale, avec ses apports et ses faiblesses. M. Chafik Sarsar, maître de conférences en droit constitutionnel et membre de l'Instance supérieure de la Révolution et de la transition démocratique, s'est fait le défenseur de la mise en place d'un référentiel nouveau sur la base duquel s'articulerait la Constitution démocratique post-révolutionnaire. Ses principes : la dignité, la liberté et la démocratie. Dans l'esprit du juriste, si des désaccords sur les aspects techniques sont légitimes, le consensus doit être de rigueur s'agissant des principes. Mais attention, «le diable se cache dans les détails», a-t-il lancé. A propos de la nécessaire protection des options de base de la nouvelle Constitution, l'universitaire a estimé nécessaire de songer à des clauses spéciales ne pouvant être remises en cause que par une autre révolution, ou qui figureraient dans une sorte de charte supra-constitutionnelle que l'Assemblée constituante n'aura pas la prérogative d'annuler ou de modifier. M. Sarsar a expliqué que le régime tunisien de 1959 était déjà présidentialiste et a vu cet aspect se renforcer davantage plus d'une fois. Sachant que le régime présidentiel est celui en vigueur aux USA, fruit de l'histoire de ce pays, et atténué par le fédéralisme. Il estime, chez nous, la 2e chambre coûteuse et inutile, surtout qu'une Constitution gagnerait à être simple et à la portée du peuple. C'est ainsi qu'à son avis les différenciations actuelles entre loi organique, loi-cadre et loi ordinaire devraient être abandonnées. Quant à Me Bochra Bel Haj Hmida, elle a plaidé pour la parité au niveau des listes de candidats de chaque tendance, afin d'impliquer décisivement la femme et de protéger et développer ses acquis, dont le Code du statut personnel. L'avocate, qui est membre de l'Instance supérieure de la Révolution et de la transition démocratique, estime la présence féminine très faible dans les trois commissions de la réforme et notamment deux d'entre elles : celle que préside M. Abdelfattah Amor et celle dont elle fait partie. L'oratrice, qui considère que la femme reste dévalorisée par la société dans la mesure où à valeur égale on continue de choisir un homme plutôt qu'une femme, a conclu en ces termes : «Pas de démocratie si la moitié de la société est marginalisée !». Abondant dans ce sens, M. Daniel Calingaert a rappelé qu'un pourcentage de femmes s'impose à tous les niveaux en Hongrie, où les élections sont à la proportionnelle. Ce quota est de 40%. L'après-midi, MM. Samir Bettaïeb et Mohamed Goumani étant sollicités au sein de l'Instance supérieure présidée par M. Iyadh Ben Achour, c'est Mme Maya Jribi qui va avoir la partie belle dans l'analyse des opportunités et défis des prochaines élections aux yeux des partis politiques.