A moins de faire partie de ces petits esprits ombrageux, qui pourrait nier aujourd'hui l'audace, le courage et la détermination dont vous avez fait preuve dès les premiers rugissements de la colère populaire? Partis très tôt sur le «terrain», vous avez suivi, sur vos blogs, à la trace, la tempête révolutionnaire tunisienne, dont l'étincelle a éclaté à Sidi Bouzid, bravant les balles réelles de la police et le risque constant d'être arrêtés, harcelés, livrés aux griffes des tortionnaires du sinistre ministère de l'Intérieur, du temps de Ben Ali. Au même moment, les médias officiels et pseudo-indépendants ouvraient leurs unes et le sommaire de leurs journaux radio et télévisés par les cinq victimes ayant été emportés à la suite des inondations en…Australie! Aurait-on pu imaginer un cas d'autisme aussi prononcé? Une pire schizophrénie ? L'histoire retiendra votre cyber résistance. Le rôle majeur que vous avez joué dans la transmission sur vos carnets de bord des informations, du son, des vidéos et des images des manifestations à Kasserine, Régueb, Thala, Sfax, Hammamet…, en temps réel et en synergie avec les cris, les revendications et les slogans d'une jeunesse déchaînée contre le dictateur qui la gouvernait. Mais n'oubliez jamais, amis blogueurs, que vous êtes les privilégiés de l'écrit! L'écran vous protège. L'anonymat également, pour beaucoup d'entre vous. Bloguer n'a jamais été un métier : d'un simple hobby, il peut évoluer vers un engagement, noble et généreux tel le vôtre. Ne sous-estimez pas non plus la chance de vivre dans une sphère de liberté éditoriale totale. Personne n'a le droit de vous relire, de vous «corriger», de vous figer pour vos idées dans un «frigo», jusqu'à la fin de vos jours, de vous licencier... Votre billet, caractérisé dans la plupart des cas, par le règne de l'émotionnel, de l'immédiateté et parfois même d'une touche d'égocentrisme (démarche en contradiction avec les règles déontologiques des journalistes où l'information doit passer par la moulinette de la vérification, de l'analyse et du recoupement) est publié d'un simple clic à l'intérieur d'un immense espace public virtuel. Forum évoluant selon les situations entre l'échange de réflexions profondes et le …bavardage stérile. A part la notoriété et la médiatisation que vous avez gagnées, à juste titre, après la Révolution, rien n'a pratiquement changé dans votre ligne éditoriale. Il faut avoir travaillé dans un média traditionnel lors de la période Ben Ali, pour apprécier à quel point pour les journalistes, aujourd'hui, la marge du possible s'est élargie. Amis blogueurs, à vous écouter, offensifs, vous posant en donneurs de leçons, tirant sans merci sur les journalistes à travers les ondes des radios tunisiennes— une guerre absurde et insensée— il me souvient de ce passé dont nous n'avons pas encore dépassé les traumatismes. Lorsque l'ex-président de la République prenait la parole régulièrement pour «exhorter» les journalistes à dépasser leur réflexe d'autocensure et de «se mettre au niveau de l'évolution économique et sociale du pays». En fin stratège de la manipulation, il avait réussi à remonter une partie de l'opinion publique contre nous. Certes, des dérapages se sont multipliés, ici et là, depuis l'après 14-janvier, un traitement pas toujours à la hauteur des évènements et des enjeux a été remarqué, une tendance à mettre en avant le sensationnel et la frivolité, au détriment de l'investigation et du travail sur terrain, des réminiscences de rigidité autour de la circulation de l'information, des cas de censure. Amis blogueurs, nous ne sommes qu'au début d'un long chemin, qu'aux prémices d'une transition démocratique où le rôle des médias doit être renforcé. Ce crédo nous unit. Défendons-le haut et fort. Sans traverser surtout des zones de turbulence, ou de croisades ouvertes entre blogueurs et journalistes. Trop de petites guerres partisanes voulues et imposées par le pouvoir ont dans un proche passé affaibli nos capacités à faire avancer la Tunisie. Les rédactions foisonnent aujourd'hui, de bonne volonté et de tonnes d'énergie pour prendre en main le métier et lui inventer des gages de liberté, de crédibilité et de professionnalisme. Des besoins urgents, en termes de formation, tant technique que déontologique, se font sentir. Nous attendons impatiemment une nouvelle stratégie et une réorganisation totale des médias : des comités de rédaction élus, des chartes particulières à chaque organe de presse, la suppression totale de ce code de la presse tunisienne, un des plus répressifs à travers le monde, des sociétés de journalistes (à l'instar du journal Le Monde), qui veillent à la garantie de leur ligne éditoriale et de cet acquis si fragile et si précieux qu'est la liberté d'expression. Amis blogueurs, nous sommes à un tournant de notre histoire politique. Nous traversons également une période d'adaptation des métiers de l'information et de la communication à un nouvel écosystème susceptible de bouleverser les équilibres traditionnels. Construisons pour l'avenir et pour l'intérêt des récepteurs un espace médiatique émancipé et régénéré grâce à toutes ces forces vives, aux divers courants de pensée dont foisonne la Tunisie révolutionnaire et à tous ces dispositifs high tech des temps modernes.