Par Dr Moncef Guen Avec la Révolution du 14 janvier, il est à espérer que le modèle économique obsolète de l'ancien régime soit abandonné et remplacé par un modèle nouveau. Modèle économique obsolète Le modèle économique de l'ancien régime repose sur trois piliers : la loi 1972 autorisant les industries offshore, l'accord d'association avec l'Union européenne (UE) signé en 1995 et le tourisme à bas prix. S'il a contribué à créer des emplois pour une partie de la main-d'œuvre peu qualifiée, ce modèle a fait de la Tunisie la terre de la sous-traitance pour l'industrie européenne. Il a créé aussi une dichotomie entre le secteur offshore jouissant de privilèges exorbitants et le secteur onshore subissant les contraintes d'un marché étroit et laissé pour compte aux convoitises des clans et aux aléas de la corruption. Ce qui explique, par ailleurs, le tassement tendanciel des investissements intérieurs dans notre pays. Ce modèle a engendré de graves déséquilibres, masqués par une croissance d'environ 4% par an, en moyenne, avant le déclenchement de la crise financière et économique mondiale en 2008. Ces déséquilibres ont caractérisé d'abord la distribution des revenus. Les écarts de revenus entre les catégories les plus riches et les catégories les plus pauvres se sont accentués. Le mode de vie extravagant et la luxure des premières (palais, voitures de luxe, yachts, jets) ont été dévoilés dans les séries ramadanesques, diffusées par les chaînes de télévision et par les révélations des diplomates américains à travers WikiLeaks. L'extrême pauvreté dont souffraient et souffrent encore 10% de la population, soit plus de 1 million de personnes, n'est révélée que maintenant que le rideau de fer sur l'information objective a été levé. Le modèle a aussi creusé un fossé entre les régions côtières et l'hinterland. Il a également causé un déséquilibre croissant entre les villes et les zones rurales, engendrant des flux migratoires considérables vers les métropoles les plus importantes, grossissant ainsi les rangs des chômeurs existants. Ce modèle doit être maintenant remplacé par la révolution en faveur d'un autre plus proche des espoirs du peuple, surtout des jeunes. Un modèle nouveau Le modèle nouveau devrait être axé essentiellement sur le plein emploi des jeunes. D'abord, notre agriculture, qui a été longtemps négligée, devrait connaître un essor considérable, à la mesure de son potentiel. N'oublions pas que la Tunisie a été le grenier de Rome dans l'Antiquité. Ce secteur recèle des potentialités formidables pour l'emploi de nos jeunes. Un programme de relance des zones rurales (irrigation, petite hydraulique, pistes de desserte, reforestation, mise en valeur des terres incultes) devrait être lancé rapidement et fournir des dizaines de milliers d'emplois. Ce programme devrait garantir à tout demandeur d'emploi en zones rurales un minimum de jours de travail dans l'année. Il peut être financé par le budget, en attendant des appuis extérieurs dans le cadre d'un plan de modernisation et de développement de notre agriculture. Le ministère de l'Agriculture a devant lui une tâche historique à remplir en préparant un tel plan. Le Kenya exporte des fleurs par avion à Amsterdam. La Tunisie, géographiquement plus proche de l'Europe, devrait être capable de faire autant sinon plus. Sur le plan industriel, on devrait encourager non pas la sous-traitance mais les investissements innovants, à haute valeur ajoutée et capables de mettre au travail notre main-d'œuvre qualifiée. Pour cela, il serait important de s'adresser aux pays émergents que sont les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). D'abord, parce qu'ils sont depuis des années les moteurs de la croissance mondiale. Ensuite, parce que nous pouvons nouer avec eux des relations de promotion industrielle novatrice visant le marché unique en Europe, en exploitant mieux et d'une façon plus intelligente l'accord d'association avec l'UE. C'est ce qu'a fait, avec succès, l'Irlande, membre de l'UE, attirant, par sa faible taxe de 15% sur les bénéfices des sociétés, les investissements industriels américains. C'est ce que fait, avec succès aussi, la Turquie. Cette stratégie peut être payante aussi pour le tourisme. Imaginez si un pourcentage infinitésimal de Chinois ou d'Indiens viennent comme touristes en Tunisie : tous nos hôtels seront remplis toute l'année. Cela donnera aussi a nos hôteliers beaucoup de pouvoir de négociation vis-à-vis des tour-operators européens qui on tiré à la baisse le produit touristique tunisien. La Tunisie devrait également s'intéresser davantage à son continent : l'Afrique. Sur le plan commercial comme sur le plan de l'émigration. Les Carthaginois allaient dans l'Antiquité jusqu'au Golfe de Guinée pour faire du commerce. Les Libanais ont compris cela depuis fort longtemps et sont présents dans de nombreux pays au sud du Sahara. Mais il faut d'abord, chez nous, se débarrasser de la mentalité de ne regarder que vers Lampedusa. Il y a mieux.