Quel modèle économique pour la Tunisie de l'après révolution?
Depuis le 7 Novembre 1987, la Tunisie s'est construite un modèle économique orienté vers l'ouverture et la libéralisation de plusieurs secteurs. Ce modèle qui a prouvé son efficacité à une certaine période, selon les principales institutions financières, vient d'atteindre ses limites, et a généré des problèmes plus qu'il en a créé de solutions. Ce modèle est aussi le fruit de choix parfois compréhensibles et dans d'autres cas arbitraires, ou au profit d'une minorité. Après la révolution, les analystes sont unanimes sur la nécessité de réviser ce modèle économique afin de pallier à ces insuffisances. Un modèle qui doit être adopté par le prochain gouvernement élu, dans la concertation totale, et suivant le paysage économique qui se dessinera à l'issu des élections. Elever en gamme le tourisme tunisien, pour améliorer sa rentabilité et sa valeur ajoutée dans l'économie nationale
L'insuffisance d'un modèle L'économie tunisienne, il ne faut pas le nier, a connu des années glorieuses avec des niveaux de croissance variant entre 4 et 5% annuellement. Un niveau respectable en comparaison avec la conjoncture dans laquelle elle a évolué. Les principales caractéristiques du modèle économique tunisien sont: - La promotion des exportations, qui représentent plus de 45% du PIB national, - La promotion du tourisme, en majorité bas de gamme, et qui représente plus de 7% du PIB national, - La sécurité et la stabilité pilier pour l'investissement: La sécurité et la stabilité dont avait jouis la Tunisie durant les 23 dernières années, étaient un élément important pour l'encouragement de l'investissement direct étranger et national. C'est pour cette raison que l'ancien régime a tenu à le maintenir par tous les moyens, même avec la répression et le blocage des libertés politiques. Le climat de stabilité et de sécurité était un atout majeur pour la croissance économique en Tunisie. - La sous-traitance dans plusieurs secteurs. En effet, afin de créer le plus grand nombre de postes d'emplois, la Tunisie a offert une main d'œuvre pas chère pour attirer les investisseurs étrangers. Cette stratégie a réussi spécialement dans le secteur du textile et habillement, les IME et les centres d'appel. - L'encouragement de l'investissement privé. La Tunisie a concentré les efforts pour créer un cadre propice à l'investissement privé à travers des incitations et des exonérations. - Le désengagement de l'Etat: Durant les 23 dernières années, plusieurs opérations de privatisation ont été opérées. Ces opérations de privatisation ont couvert plusieurs secteurs tels que les banques, l'automobile, l'industrie, le tourisme, les services,… Plusieurs d'entre elles se sont déroulées d'une manière douteuse et au profit du clan présidentiel, et dont les enquêtes vont dévoiler les secrets et l'ampleur. Mais, il n'existe pas de modèles parfaits, et chaque modèle présente toujours des insuffisances et fait parfois des ravages. Pour celui adopté par la Tunisie, il a surtout crée: - Un chômage important au niveau des diplômés du supérieur, puisque la sous-traitance n'exige qu'une main d'œuvre peu qualifiée. C'est devenu le problème majeur de l'économie tunisienne actuellement et dans les prochaines années. En effet, le taux de chômage des diplômés est actuellement de l'ordre de 18% selon des chiffres «officiels», mais il atteint 40% dans certaines régions. Selon d'autres sources non officielles, ce taux est de 30% en moyenne nationale. - Un déséquilibre dans le développement régional: malgré les incitations à l'investissement dans les régions et les zones de développement régional, via le code d'incitation aux investissements, les régions de l'intérieur sont restées sous exploitées et sous-investies. En effet, les incitations à l'investissement n'ont pas été suivies par un investissement public dans l'infrastructure qui peut encourager à investir. Ce déséquilibre est l'une des causes de la révolution du 14 Janvier 2011. - Un déséquilibre dans la répartition de la richesse: le modèle économique tunisien basé sur l'initiative privée a profité à une minorité de personnes, qui ont bénéficié de complaisance et de passe droits. Les statistiques officielles parlent d'une classe moyenne représentant 80% de la population, un chiffre à réviser, puisque cette classe est très fragile et en nette régression. Le chiffre le plus étonnant de l'après révolution a été révélé par certains économistes. En effet, 10% de la population la plus riche en Tunisie détient 70% de la richesse nationale, ce qui témoigne de l'écart entre les riches et les pauvres.
La nécessité d'une révision: Une évaluation objective du modèle économique tunisien, permet d'affirmer qu'il a réussi jusqu'à certaines limites. On ne peut pas parler de miracle, comme certains se sont hasardés à l'avancer, mais d'un modèle qui a été épuisé. Les choix économiques adoptés par l'ancien régime sont aujourd'hui remis en cause. Sans être négationniste, certaines orientations peuvent être maintenues et même confortées, tel que la libéralisation de l'économie nationale, l'encouragement de l'investissement privé dans la légalité, et l'encouragement de la recherche et développement loin des slogans politiques. Certains autres orientations sont à revoir, telles que: - Les privatisations: sous l'ancien régime, les privatisations s'effectuaient à la carte et selon les exigences du clan présidentiel. Les privatisations ont touché même des entreprises publiques bénéficiaires et performantes. Cette pratique doit être revue, pour introduire plus de transparence et de rationalité dans les privatisations envisagées. Ce n'est nul doute un encouragement à la nationalisation des entreprises publiques, plutôt une amélioration des procédures d'attribution de ces entreprises. - Investir dans régions: Il s'est avéré nécessaire d'engager un véritable plan Marshall pour les régions tunisiennes de l'intérieur. Ce plan doit se baser sur un investissement public dans les infrastructures, et un investissement privé créateur d'emplois pour les diplômés du supérieur, - La rationalisation des transferts sociaux, pour les orienter vers ceux qui les méritent réellement, afin de garantir une meilleure affectation des ressources et une bonne répartition des richesses. - Continuer les stratégies nationales permettant les secteurs à forte valeur ajoutée, - Elever en gamme le tourisme tunisien, pour améliorer sa rentabilité et sa valeur ajoutée dans l'économie nationale. Ce sont quelques réflexions à approfondir sur le modèle économique et qui peuvent favoriser un regain de croissance pour l'économie tunisienne, et des solutions pour pallier aux insuffisances de l'ancien modèle. L'actuel gouvernement est de transition, et ne peut pas se prononcer sur les choix stratégiques économiques futurs. C'est le prochain gouvernement issus des urnes et les différents partis politiques qui peuvent se prononcer sur ces choix, et derrière eux le peuple tunisien, qui doit avoir le dernier mot.