Par Adnen LASSOUED «Nul n'est contraint de faire carrière au service de l'Etat. Mais pour ceux qui s'y consacrent, ce service est une noble et stricte obligation», Charles de Gaulle. Il est du devoir du fonctionnaire de sortir de son obligation de réserve lorsque l'intérêt public est compromis. Le 22 février dernier, dans une tribune intitulée «Rendons les statistiques publiques au peuple !» un collectif anonyme de huit ingénieurs de l'Institut national de la statistique a dénoncé, sur les colonnes du journal La Presse, le manque d'indépendance des statistiques publiques et les conséquences fâcheuses qui en ont découlé durant la dernière décennie. Ils ont appelé de leurs vœux à une rupture avec les pratiques du passé afin de garantir l'indépendance scientifique de l'INS, en se gardant toutefois de remettre en cause la tutelle administrative du ministère de la Planification et de la Coopération internationale. Cet article faisait écho à la principale revendication formulée dans le cadre d'une pétition signée par près de 150 fonctionnaires de l'INS, déposée auprès du ministère et qui est restée lettre morte. Aujourd'hui, la situation de l'INS est plus que jamais préoccupante car il continue à être maintenu sous influence. Depuis trois mois, l'Institut vit en plein imbroglio administratif: son directeur général ayant été congédié par le ministère, aucun remplaçant officiel n'a été désigné; créant ainsi une situation kafkaïenne qui entrave le bon fonctionnement de l'institution à un moment critique de son existence. En effet, malgré toute la bonne volonté de ses fonctionnaires qui s'efforcent d'assurer la continuité des travaux courants, certaines grandes enquêtes qui demandent un haut degré de coordination administratif sont en péril. Ainsi, l'enquête sur la consommation des ménages éprouve d'importantes difficultés de gestion, tandis que l'enquête sur l'emploi est tout simplement à l'arrêt avec des pertes irrémédiables d'informations dues à l'absence de données collectées. Ces ruptures de séries, qui constituent un casse-tête pour le statisticien, ne manqueront pas d'avoir des répercussions sur l'élaboration et l'évaluation des programmes économiques à l'heure où le besoin de données fiables sur le chômage et la situation des ménages revêt un intérêt capital. Peut-on imaginer un instant la Banque centrale sans gouverneur et travaillant sous le diktat du ministère des Finances ?! Un tel scénario serait jugé totalement ubuesque de nos jours. Pourtant, mutatis mutandis, c'est ce type de situation qui prévaut du côté de l'Institut national de la statistique, une institution de taille et d'importance comparables. Profitant de l'absence d'une hiérarchie active, des dépassements et abus de tout genre compliquent la tâche des fonctionnaires de l'INS. L'intégrité même de la mission de service statistique est menacée. L'exemple le plus édifiant est la récente requête officielle du ministère des Finances exigeant de l'Institut de lui communiquer, à des fins de contrôles fiscaux, des données confidentielles sur les entreprises, au mépris de toute déontologie et en violation totale de la loi sur le secret statistique. De jeunes cadres de l'INS ont dû subir le harcèlement du ministère des Finances et de leur propre ministère de tutelle qui ont usé de toutes sortes de pressions afin de les faire plier. Ils se sont heureusement heurtés au refus ferme de la part de statisticiens conscients qu'un tel acte créerait un précédent dangereux qui compromettrait durablement la crédibilité de l'INS et du système statistique dans sa globalité. Ces agissements ont néanmoins eu le mérite de révéler la fragilité de l'indépendance de facto que tentent de mettre en œuvre les fonctionnaires de l'INS. En effet, l'ingérence administrative du ministère de tutelle pourrait suffire demain à reprendre la main sur l'institution, d'autant plus que le ministre de la Planification et de la Coopération internationale possède la latitude de désigner et de révoquer le directeur général de l'INS. De ce fait, une indépendance de jure devient la condition sine qua non pour pérenniser et développer les statistiques publiques dans un environnement institutionnellement sain. Il est également primordial que le débat sur cette question gagne l'opinion publique qui doit prendre conscience de l'importance des enjeux liés à l'indépendance de l'INS afin de garantir la qualité et l'impartialité des statistiques officielles ainsi que le respect de la vie privée et le secret des affaires des fournisseurs de données. • Hassen Arouri : sous-diurecteur du RNE (répertoire national des entreprises) • Adnen Lassoued : sous-directeur de l'observatoire de la conjoncture économique • Atef Ouni : chef de service - statistiques des entreprises - enquête emploi et salaires • Kamel Abdellaoui : chef service site web et base de données • Sofiène Derbali : chef de service indice des prix des produits agricoles • Jmal Yassine : sous-directeur des enquêtes budget-consommation des ménages • Anis Boujaâma : chef de service (enquêtes opinions) • Fethi El Hadj Amara : sous-directeur enquêtes structurelles • Noureddine Boukraâ : chef de service statistiques et état civil