• La commission est victime de harcèlement judiciaire • 1.500 dossiers examinés dont 64 transmis à la justice • Une trentaine d'anciens hauts responsables auditionnés " L'ancien président a-t-il mandaté quelqu'un pour le remplacer " ? Cette phrase lancée par M.Abdelfettah Amor, président de la Commission nationale d'investigation sur la corruption et les malversations, en réaction à la décision de la justice décrétant la cessation de l'activité de ladite commission, porte en elle plusieurs insinuations et reflète le climat de tension dans lequel travaille la commission. Les démêlés avec la justice ne semblent pas s'arrêter et une nouvelle affaire est portée par quelques avocats devant le procureur de la République en vue d'annuler le décret portant création de la commission qui affirme dans un communiqué " être victime d'une campagne de diffamation dont les conséquences seront supportées par les Tunisiens, et en particulier les victimes de la corruption et de la malversation". Effectivement, acquiesce M.Abdelfettah Amor, " face à cette campagne de dénigrement, tous les membres de la commission ont voulu exprimer leur attitude vis-à-vis du harcèlement judiciaire auquel la commission est soumise. Ce harcèlement, œuvre de certaines personnes qui se réclament du barreau, vise à l'empêcher d'accomplir son travail conformément à ses missions définies par le décret-loi n° 7 en date du 18 février dernier, cherchant par là même à la décrédibiliser aux yeux de l'opinion publique. Mais ce que nous trouvons inadmissible, continue M.A.Amor, c'est cette volonté délibérée de vouloir jeter l'opprobre sur quelques-uns des membres de la commission et de mettre en doute leur intégrité morale ". Affectés par cet enchaînement d'agissements hostiles ? " A vrai dire, oui, mais nous ne sommes nullement découragés, car cela ne réduit pas notre détermination à continuer les investigations pour dévoiler toutes les malversations et déceler les réseaux de corruption qui ont été mis en place au cours des dernières années ", répond notre interlocuteur, décidé d'ailleurs, si cela continue, de porter l'affaire devant la justice en déposant plainte contre tous " ceux qui procèdent par voie de diffamation et de dénonciation calomnieuse et ceux qui se sont attaqués à moi personnellement, mettant en cause ma réputation et mon indépendance". Mais y a-t-il anguille sous roche, qui joue à la manipulation, quelles sont les parties qui se trouvent derrière cette opération de déstabilisation et pour quelles raisons? Plusieurs questions demeurent en suspens et auxquelles on aurait aimé avoir des réponses précises pour dissiper les doutes et faire assumer à chaque partie ses responsabilités. Le pays est en difficulté et il ne faut pas encore chercher à pourrir la situation en jetant le discrédit sur telle ou telle commission ou en essayant de bloquer son travail fût-il par voie de justice. Réservé, le président de la commission préfère, pour le moment, ne pas divulguer les noms des commanditaires qui " veulent bloquer le travail de la commission parce qu'elle va mettre à nu la corruption et la malversation qui implique un nombre considérable de personnes de tous les secteurs et par conséquent, ils voient dans cette commission une menace réelle qui pèse sur leurs intérêts ". Des menaces reçues ou proférées contre la commission et son président? " Passons ", dit-il, non sans un sourire amer qui en dit long sur le champ de mines dans lequel opère la commission. " Mais cela n'altère aucunement notre détermination ", promettant un rapport qui fera date. A l'instar de la Commission nationale d'investigation sur les dépassements et les violations (Cidv) que préside M.Taoufik Bouderbala, on reproche à la commission d'Abdelfettah Amor d'empiéter sur les prérogatives de la justice, exclusivement habilitée à se saisir des dossiers de ce genre. Cette interférence est de nature à semer le doute dans les esprits et risque, selon certains, de " brouiller les pistes ". Assertion que récuse M. A. Amor : " Nous avons dès les premiers jours expliqué que cette commission n'a nullement l'intention de se substituer à la justice ni de faire son travail. D'ailleurs et comme le précise le décret-loi, elle rassemble les informations, les documents et les témoignages susceptibles de jeter la lumière sur les crimes de malversation et de corruption, de consigner tous ces éléments dans des rapports qui seront transmis à la justice pour décider de la suite qui leur sera donnée ". La commission a, depuis sa création, abattu un gros travail, avec 1.500 dossiers déjà traités sur les 6.500 reçus dont, faut-il le préciser, 40% n'entrent pas dans ses prérogatives. Soixante-quatre d'entre eux ont été bouclés et transmis à la justice qui s'en est saisi et a déjà commencé à les examiner. Ils portent sur des affaires de trafic d'influence, d'usurpation de biens publics et des affaires de corruption avérées. De grosses affaires de marchés publics illégalement octroyés et des détournements de fonds ont été prouvés, pièces justificatives à l'appui. La corruption et la malversation ont été érigées en système et ont touché les différents rouages de l'Etat et des entreprises publiques. Il s'agit là de cerner le phénomène qui, sans être une fatalité, passe pour être l'une des grandes plaies de la société et de le disséquer sans tomber dans la dénonciation conjoncturelle et moralisante. Composée de trois commissions sectorielles, elle puise les informations à partir de trois sources principales. " D'abord les dossiers et documents transmis par les institutions comme les ministères, les administrations, les banques et les entreprises publiques", explique le président de la commission. S'engage alors un véritable travail de fourmi en épluchant les documents, en traitant les informations et en examinant les données fournies. La commission n'hésite pas à convoquer d'anciens hauts responsables, " par simple coup de fil et dans la dignité", précise M.A.Amor qui ajoute qu'une " trentaine d'anciens ministres, entrepreneurs et PDG ont été auditionnés pour complément d'information ". Ce n'est pas là le travail du juge d'instruction puisqu'après examen du dossier, elle décide de saisir le parquet? " Pas du tout, car ce genre de commission a existé dans d'autres contrées et existera dans le cas des pays en phase de transition ", répond le président de la commission qui ajoute qu'il "ne faut pas chercher à semer la zizanie entre la commission et la justice ni à jouer les avocats des bonnes causes tout en ayant des desseins inavoués, cela ne servirait pas les vraies bonnes causes de la révolution ". La commission procède également à ses propres recherches comme elle reçoit les doléances des citoyens qui présentent des documents parfois accablants et qui, par conséquent, doivent être traités avec tous les soins requis. Toutefois, cette commission comme les deux autres risqueraient de disparaître avec l'avènement d'un nouveau gouvernement qui serait formé après les élections du 24 juillet prochain. D'autant plus qu'elles n'ont pas établi un échéancier précis et que leurs travaux pourraient prendre encore plus de temps que prévu. " Les choses sont ce qu'elles sont, précise M.A.Amor, la continuité de la commission est liée à celle de l'Etat. Cependant, l'Etat pourrait, après l'élection de la prochaine Constituante, procéder à la modification des missions de la commission ou tout simplement l'abolir. C'est son plein droit. Cela ne nous nous empêche pas de continuer notre travail tout en préparant un rapport d'étape avant le 24 juillet prochain dans lequel seront consignés tous les détails, les faits et les responsabilités assortis de preuves. Mais, ajoute-t-il, cette vérité sur les questions de corruption et de malversation préoccupe le peuple qui, je pense, ne sera pas d'accord sur l'arrêt ou la suspension des investigations. Attendons donc pour voir". C'est pour cette raison que la commission présentera à la prochaine Assemblée nationale constituante une proposition pour la création d'une institution autonome et permanente de lutte contre la corruption afin de procéder en toute indépendance aux investigations nécessaires pour contrer le phénomène. Une sorte de mécanisme de veille et de contrôle à même de renforcer l'Etat et d'ériger la transparence en valeur absolue, en œuvrant à la prévention, la détection, la répression et l'éradication de toutes sortes d'infractions et de fraudes assimilables à la corruption et à la malversation.