Par Abdelhamid Gmati C'est devenu (presque) un euphémisme de le dire : les entreprises économiques en Tunisie ont (très) mal vécu la révolution, et ce, du fait des multiples grèves et sit-in. Quarante-deux entreprises étrangères (sur un total de 3.200) ont quitté le pays, ce qui signifie 3.000 chômeurs en plus. Selon M. Noureddine Hajji, Associé Directeur Général (Ernst & Young Tunisie) citant une enquête, réalisée récemment par sa société, portant sur le «Comment les entreprises tunisiennes ont-elles vécu la période post-14 janvier ?», il paraît que «la majorité des entreprises interrogées ont connu une baisse, voire une forte baisse de leurs chiffres d'affaires sur le premier trimestre 2011, liée à un dérèglement de la demande des clients (87%), mais aussi à la perturbation de la chaîne logistique. 90% des entreprises déclarent avoir connu des perturbations dans leurs chaînes logistiques : distribution (87% des cas), production (67%) et approvisionnement (51%). Les problèmes de sécurité sont cités en premier, comme étant à l'origine du grippage de la chaîne logistique. Viennent ensuite la destruction et le vol de stocks et la défaillance des moyens de transport». Elles ont aussi connu des problèmes de trésorerie... «La plupart des entreprises interrogées (74%) ont connu des problèmes ou des frictions dans la gestion de leurs ressources humaines et ont dû faire face aux multiples revendications de leur personnel : sur les salaires (78%), sur les titularisations et intégration du personnel en sous-traitance (68%), sur la structure et grille des salaires (49%) mais aussi sur les conditions de travail et la gestion de carrière (38%)». Donc ces «riches» ont connu, et connaissent des problèmes plus ou moins graves. Il y a là de quoi conforter un certain sentiment populiste, largement partagé, qui veut que les «riches sont tous des voleurs, et tous les autres, employés, ouvriers…sont opprimés et exploités». Certes, sous la dictature, plusieurs entreprises ont profité du système pour s'octroyer des avantages illégaux. Plusieurs ont été coupables de malversations et de corruption. Les organismes de contrôle et la justice se chargeront de délimiter et de prouver ces méfaits et de les punir. En toute légalité. Mais plusieurs, surtout parmi les plus florissantes ont souffert de la convoitise de la «mafia au pouvoir». Il faut donc éviter les amalgames et les procès d'intention. On assiste là à un paradoxe bien de chez nous: tout le monde aspire à être riche, même les chômeurs, les diplômés, les analphabètes et autres harragas, mais tous dénoncent les «riches». Et d'abord qui sont ces riches sur lesquels certains populistes, et hommes de gauche tirent à boulets rouges? Notons d'abord que, particulièrement chez nous, ces «riches» ne sont que des pauvres qui ont réussi. Même ceux qui ont hérité d'entreprises florissantes. Ensuite, il faut spécifier que tous les chefs d'entreprise et hommes d'affaires ne sont pas riches et se débattent, pour la majorité d'entre eux, dans de grandes difficultés. N'oublions pas que la grande majorité de nos entreprises ne sont que des P.M.E. (moyennes et petites). Les jeunes diplômés chômeurs et les autres aspirants entrepreneurs, qui voudraient développer des projets de développement, créer des emplois, à eux-mêmes et à d'autres, seront-ils, immédiatement taxés de «riches» ? Revenons aux résultats de l'enquête citée plus haut. «L'entreprise tunisienne a démontré une forte résilience face à l'adversité». Ce qui veut dire que les chefs d'entreprise qui ont accepté les «dégâts», en tant que «tributs» à la révolution, veulent les dépasser, et aller de l'avant. Ils épousent ainsi les objectifs de la révolution et ne se laissent pas abattre. Certains auraient pu se dire, «avec ce chaos destructeur, il vaut mieux aller ailleurs». Comme l'ont fait certaines entreprises étrangères. Ensuite, malgré les grèves et les protestations, on note que « 94% des entreprises ont souligné l'attachement de leurs employés à leur entreprise et ont mentionné les marques de solidarité de leur personnel et leur volonté pour protéger leur entreprise dans les moments les plus délicats de l'après-14 janvier... Et les entreprises déclarent majoritairement (54%) ne pas être satisfaites de leur fonction de GRH (Gestion des Ressources Humaines). 90% des dirigeants interrogés soulignent la nécessité d'une refonte totale de cette fonction et une redéfinition de ses responsabilités pour couvrir, de façon large, les domaines de gestion de carrière et de la performance dans le cadre d'une politique participative et basée sur une communication soutenue». Ce qui veut dire que les relations de travail seront révisées. Dans les faits, ces entreprises tunisiennes s'activent. A titre d'exemple, on relèvera qu'on a enregistré une hausse de 21,8% de l'investissement déclaré dans l'industrie. En effet, le total des investissements a augmenté de 1.197,6 à 1.458,9 millions de dinars (MD). Selon l'Agence de promotion de l'industrie et de l'innovation (APII), on note pour le mois de mai «le retour au vert de plusieurs secteurs. Le secteur des industries agroalimentaires continue à tirer son épingle du jeu avec un envol de 54,8%, suivi des industries mécaniques et métallurgiques (38,3%), puis des industries des matériaux de construction céramique et verre (34,1%). Les investissements déclarés dans les régions de l'Est ont augmenté de 7,9% passant de 918,2 à 990,7 MD. Ceux dans les régions de l'Ouest ont enregistré, une hausse de 67,6%, passant de 279,4 à 468,2 MD. Pour les zones de développement régional, l'investissement s'est accru de 38,1%, évoluant de 616,3 à 851,3 MD». On note aussi que 33 nouvelles entreprises se sont installées en Tunisie et 66 ont procédé à des extensions de leurs activités. Ceci est conditionné essentiellement à l'arrêt des grèves et au retour à la normale dans les entreprises.