Par un collectif de la diaspora tunisienne* S'il n'est pas de notre rôle, comme nous en avons pris l'engagement dans notre premier appel (La Presse du 6 mai 2011), de nous immiscer dans les tractations politiques internes ou de disputer une place à tout prix, nous suivons à distance ce qui se passe en Tunisie et estimons qu'il est de notre devoir de sonder l'image du pays à l'extérieur tout autant que ses initiatives dirigées vers la diaspora. Certes, nous comprenons que les responsables politiques actuels soient préoccupés d'abord par le souci de parer au plus urgent, pris par la gestion des affaires courantes, l'instauration d'un minimum de sécurité et le bon déroulement des élections à venir. Cela doit-il circonscrire leur action dans le seul périmètre national et expliquer leur absence quant à ce qui se passe ailleurs et quant à l'actualité internationale ? Disons-le en toute franchise : vus de l'étranger, nos actuels responsables semblent englués dans les enjeux politiques en cours et offrent le profil de candidats en course dont le souci premier semble davantage concerner la négociation des postes à pourvoir que l'intérêt général du pays, ce qui ne laisse pas de provoquer en nous un pénible sentiment d'abandon. Quelques exemples pour étayer notre propos‑: - En vain chercherait-on des prises de parole claires sur ce qui concerne les Tunisiens à l'étranger et pas seulement des sièges à accorder comme si nous devions impérativement figurer dans la course au pouvoir pour le pouvoir. Nous cherchons en vain des interlocuteurs crédibles et désintéressés parmi un cercle composé en majorité d'hommes, affairés à négocier carrières et statuts. Et d'abord, où sont nos diplomates et représentants officiels ? Où sont nos ambassadeurs qui pourraient tenir le rôle d'éclaireurs sur la Tunisie, qui devraient être à leur poste pour informer la diaspora de ce qui se passe chez eux, écouter leurs propositions et leurs doléances, éclairer sur le contexte politique local et détailler une procédure électorale dont peu d'immigrés tunisiens ont compris le sens et les modalités ? - Du point de vue touristique, quelles campagnes ont été à ce point réussies pour nous assurer un flux de touristes dont l'économie tunisienne a cruellement besoin ? Les stands et chapiteaux disposés récemment devant l'Hôtel de Ville de Paris ont amusé les riverains et ont permis de vendre quelques produits phares, mais ils n'ont fait que renforcer l'image éculée et avec laquelle nous voulons rompre d'un pays qui aurait pour toute histoire des dattes, l'huile d'olive et les babouches. Doit-on s'arrêter là ? Peut-on se satisfaire d'une campagne d'affichage en France qui a jeté le doute dans les esprits avec des slogans d'intellos qui ont produit l'effet contraire auprès du touriste lambda prompt à une lecture minimale de l'information ? A-t-on fait appel à nos hommes et femmes de communication qui connaissent le terrain et auraient pu être de bon conseil ? - Quel parti s'est exprimé clairement sur les Tunisiens de Lampedusa que les Européens se renvoient d'un pays à l'autre comme des pestiférés et qui ont jeté le discrédit sur l'image de la Révolution ? Ces jeunes sont aux prises avec les autorités italiennes et françaises et vivent dans des conditions pour le moins dégradantes. Mais ces conditions ne relèvent pas que de l'Europe, elles relèvent également de leur pays natal, censé les défendre ou leur trouver des solutions. La souveraineté nationale ne consiste pas seulement à s'offusquer de la présence d'une police étrangère aux frontières. Elle consiste à préserver la vie des siens, à les protéger là où ils se trouvent, à les raisonner s'il le faut, à leur montrer le péril qu'il y a à entreprendre une traversée périlleuse et un avenir aléatoire. Au lieu de quoi, nous avons eu droit au «tant mieux pour eux !» ou «tant pis pour eux !», à des déclarations de «bons débarras !», à des insinuations quant à des harragas qui seraient majoritairement «délinquants et/ou échappés de prison» et les mieux intentionnés se sont fendus de communiqués officiels demandant à la France de leur trouver du travail, ignorant un contexte français où des centaines de Tunisiens croupissent sans papiers depuis des années et où d'autres Arabes, Irakiens ou Palestiniens, sont en danger de mort et n'ont pas choisi l'exil pour raison de pauvreté. Qui parmi les ministres qui se sont déplacés en cortège en France a pris le temps de faire un tour du côté d'Aubervilliers où ces jeunes Tunisiens s'entassent comme du bétail ? Qui a tenté de dissuader les jeunes de partir, en leur décrivant les conditions horribles qui les attendent et qui vont du péril de la traversée à l'accueil hostile, voire au racisme, de la mise en garde à la mise sous verrous ? Quelles mesures de rétorsion judiciaire ont pris sur place les autorités tunisiennes à l'encontre des trafiquants de vie que sont les passeurs ? - Alors que les élus européens tentent de mettre en exergue la culture tunisienne, quel responsable culturel a proposé, à partir de la Tunisie, une grande manifestation digne de la Révolution ? Qui a cherché l'opportunité de placer les Tunisiens dans les hauts postes internationaux qui se libèrent, le dernier en date étant la direction de l'Institut du monde arabe‑? Qui a mis en exergue certains jeunes de la diaspora qui font aujourd'hui l'actualité artistique internationale, comme à la Biennale de Venise où le maître d'œuvre fut une jeune Tunisienne ? - Quelle prise de position sur l'échiquier mondial a été signalée de la part de la diplomatie tunisienne ? Même en pleine révolution, les Egyptiens ont pesé de tout leur poids pour régler le différend entre le Hamas et l'Autorité palestinienne ou le litige du partage de l'eau en Ethiopie. Avons-nous un responsable qui rappelle que quel que soit le contexte intérieur, la Tunisie se doit de faire entendre sa voix sur l'échiquier international ? Tout se passe comme si le cours des choses s'arrêtait aux portes de Tunis, en fonction des enjeux du pouvoir et des intérêts particuliers. Alors, rappelons encore une fois, en toute humilité et sans aucune prétention autre que de défendre notre pays : qu'il va de la souveraineté de la Tunisie de ne pas s'enliser dans la gestion intra-muros des affaires dans le cadre étroit de la politique politicienne, qu'elle se doit d'être à l'écoute de sa diaspora et du reste du monde. Fût-ce en temps de Révolution. Ou plutôt, surtout en temps de Révolution. *Le collectif de la diaspora tunisienne : Chérif Abdellatif, journaliste (France), Rabia Ben Abdallah, comédienne, professeur universitaire d'art dramatique (France), Mohamed Charbagi, producteur (France), Noureddine Chatti, homme de culture (Suède), Hédi Chanchabi, président de l'association culturelle Aidda (France), Brahim Chanchabi, journaliste-photographe (France), Houssine Dridi, Universitaire (Montréal-Canada), Ahmed Hajri, peintre (France), Ahmed Jemai, journaliste reporter, directeur d'agence de presse (France), Moncef Labidi, directeur de l'Association Ayyem Zaman, Kamel Lazaâr, président de la Fondation Laz'art pour les arts plastiques (Suisse), Skander Mami, Chef d'entreprise en conseil et gestion (France), Adel Mnedja, délégué général honoraire d'une organisation professionnelle départementale (Medef 77 ) et président de Société-France (France), Najwa Othmani, journaliste (France), Abder Sfaxi, styliste (France), Moumen Slama, psychologue (France), Soraya Slimane, productrice de cinéma (France), Hassane Tlili, journaliste (France), Fawzia Zouari, écrivain et journaliste (France), Abdessatar Klai ingénieur (France), Hamed Kribi,président Association Alouan (France).