Par Hmida BEN ROMDHANE Commençons par enfoncer une porte ouverte: la responsabilité de l'ordre et de la sécurité est du ressort du ministère de l'Intérieur. Et à ce niveau, cette institution n'a fait qu'assumer son devoir en empêchant une réédition de ce qu'on appelle "Kasbah I et II". Le nombre réduit des candidats au sit-in (quelques centaines, pour ne pas dire quelques dizaines si l'on en juge par les photographies et les séquences vidéo diffusées par les médias), ce nombre réduit, donc, traduit l'agacement, le ras-le-bol même des commerçants, des employés, des fonctionnaires, en un mot de la majorité des Tunisiens face à ces mouvements stériles, dont l'unique résultat est la paralysie de quartiers entiers de la capitale à un moment où le pays cherche à se remettre sur pied. En réussissant à empêcher un nouveau sit-in à la Kasbah, le ministère de l'Intérieur n'a fait qu'appliquer une loi en vigueur dans tous les pays démocratiques, celle qui interdit tout mouvement ou manifestation non autorisés pouvant troubler l'ordre public, paralyser l'activité économique et sociale ou perturber la tranquillité des citoyens. Le sit-in avorté de vendredi dernier entre dans la catégorie "réprimable", si l'on peut dire, par la loi car non seulement il n'est pas autorisé, mais, en plus, on ne sait ni qui l'a décidé ni quelles sont les véritables motivations qui sont derrière cette décision. Et de toute façon, quels que soient les décideurs et quelles que soient leurs motivations, tout Etat qui se respecte ne peut laisser sans réagir quelques centaines de personnes perturber l'ordre public et la sécurité si indispensables à la remise sur pied du pays qu'appellent de leurs vœux des millions de citoyens. La réaction du ministère de l'Intérieur vendredi aurait été la même dans n'importe quel pays démocratique dans le monde face à un groupe d'individus qui, sans crier gare, décidait de paralyser toute une zone de la capitale, et, a fortiori, s'il s'agissait d'une zone où étaient alignées une bonne partie des administrations gouvernementales. Mais si la réaction du ministère de l'Intérieur n'est pas critiquable sur le fond, elle l'est sur la forme. L'une des caractéristiques de l'Etat, nous enseignent les constitutionnalistes, est qu'il détient le monopole de l'usage de la violence. Or, vendredi dernier, cet usage a été un peu excessif de la part des forces de l'ordre. Le sit-in aurait pu être empêché avec moins de violence. Avec d'autant moins de violence que le nombre des manifestants était réduit et les policiers ne semblaient pas débordés outre mesure. Cet usage excessif de la violence est plus problématique encore quand les victimes se comptent parmi les journalistes. Usage excessif‑? En fait, il ne devrait pas y avoir de violence du tout, ni physique ni même verbale, entre ces deux corps de métiers chargés l'un du maintien de l'ordre et de la sécurité des citoyens, et l'autre de l'information de ces mêmes citoyens sur ce qui passe dans le pays. Or, vendredi dernier, c'est la deuxième fois en deux mois que les journalistes sont fortement malmenés par les forces de l'ordre. Il y a donc un problème. Dans son intervention vendredi dernier au journal télévisé de la première chaîne, le directeur de la sûreté nationale, M. Taoufik Dimassi, n'a pas nié ce problème. Selon lui, le ministère n'est pas seulement conscient de ce problème, mais il a cherché à le résoudre en contactant le syndicat des journalistes pour organiser des séances de travail en vue de fixer, pour les uns et les autres, des modalités qui soient en mesure d'aider à éviter dans l'avenir toute éruption de violence entre ces deux corps de métiers. Liberté d'expression oblige, ces deux corps de métiers seront désormais appelés à se côtoyer chaque fois que des sit-inneurs ou des manifestants décident d'envahir la voie publique. Par les temps qui courent, ce côtoiement risque d'être répétitif. Par conséquent, il est urgent que le ministère de l'Intérieur et le syndicat des journalistes trouvent une forme de coopération afin que policiers et journalistes fassent leur travail sans provoquer la colère des uns ni les protestations et les plaintes des autres. Cela dit, les débordements de vendredi sont un peu dans la logique des choses. Dans un pays où les forces de l'ordre n'ont jamais eu l'occasion d'utiliser la violence légale dans le strict respect de la loi, et où les journalistes n'ont jamais eu l'occasion de couvrir des événements violents en toute liberté, des dysfonctionnements de part et d'autre sont inévitables. Mais tout s'apprend dans la vie. Le ministère de l'Intérieur est tenu d'enseigner à ses troupes les règles de base de l'usage de la violence dans le cadre strict de la loi relative au maintien de l'ordre. La principale de ces règles étant que le recours à la violence ne sera autorisé que quand il n'est absolument plus possible de faire autrement et que, en tout état de cause, cette violence ne sera jamais débridée. De son côté, le syndicat des journalistes est tenu d'organiser séminaires et cours de formation sur le travail journalistique dans un environnement de liberté, mais aussi et surtout sur les règles à suivre et les précautions à prendre lors de la couverture des événements violents. Quant aux sit-inneurs et manifestants, dont le patriotisme et l'amour qu'ils témoignent pour la Tunisie ne peuvent en aucun cas être mis en doute, ils doivent d'une part modérer leur passion et leur impatience, et, d'autre part, comprendre que le gouvernement contre lequel ils s'acharnent n'est là encore que pour quelques semaines. Il est de la plus haute importance et dans l'intérêt vital du pays de le laisser préparer tranquillement les élections et baliser la voie à l'émergence d'une autorité politique légitime. Décidément, la liberté n'est pas une mince affaire.