«Parfois, le silence vaut mieux que les mots», a-t-on dit un jour. Mais le silence qui règne à Menzel-Bourguiba semble beaucoup moins bénéfique qu'énigmatique. Dans cette ville, tout semble se muer en signe. Même le silence est signe. Quand les hommes taisent leurs maux, quand leurs gorges s'avèrent étranglées par les mots, ou encore quand ils ruminent en silence sans se dévoiler, il y a certes une énigme à déchiffrer. Est-ce par peur ou par crainte du pire qu'ils sont sur la réserve, ou est-ce un profond malaise par rapport à une actualité décevante qui les empêche de parler? Voilà les interrogations qui viennent à l'esprit face à ce mutisme qui intrigue. Mercredi, 10h30. D'une avenue l'autre et à travers les rues sinueuses de la ville, le paysage est plutôt apocalyptique. Des carcasses de véhicules noircies sont éparpillées ici et là. Le siège de la municipalité, le poste de police, la section de la Caisse nationale d'assurance maladie, la recette des finances, le bureau de l'emploi : tous ces établissements symboles de l'Etat ont été ravagés par le feu. Les traces sont encore visibles sur les façades, maculant la beauté de plusieurs constructions de charme datant de l'époque coloniale. La peur, la crainte et l'incertitude se lisent sur les visages pâles. Des hommes qui ont refusé de parler sans jamais expliquer les raisons de leur réserve, à l'exception d'un gentil octogénaire ayant tenu à garder l'anonymat. Ce dernier confie que suite à la prière du coucher du soleil, des déplacements douteux ont régné à l'intérieur de la mosquée : «Samedi matin, même avant, le mal n'était pas prévisible à Menzel- Bourguiba. C'était plutôt comme une sorte de foudre qui a brusquement frappé la ville. Juste après la prière du coucher “slat elmoghreb”, j'ai vu certains individus s'éloigner tout en chuchotant. Ils s'étaient isolés dans un coin parlant et gesticulant entre eux, puis ils ont quitté les lieux. Ensuite, on a appris qu'un violent face-à-face opposait un bon nombre de jeunes agités et les forces de l'ordre. La scène était tellement effrayante qu'on a craint de ne pouvoir quitter la mosquée. Nous y étions coincés longtemps avant de regagner nos demeures. Par-delà, comme le confirment certains témoins, les fauteurs de troubles étaient pour la majorité des jeunes et des moins jeunes qui ne sont pas de Menzel-Bourguiba. Cela reste à vérifier, bien entendu». Sur ces mots chargés de sens, on se dirige vers le siège de la délégation. A l'accueil, une patrouille débarquant dans le voisinage, un groupe de soldats entourant leur capitaine et certains membres du personnel de la délégation. Comme à l'accoutumée, on se présente à eux, les informant que le but de notre visite est d'éclairer l'opinion publique sur les douloureux événements qui ont récemment secoué la ville. Pour seule réponse, on s'entend dire qu'une autorisation écrite est exigée pour accomplir notre mission d'information. Etrange réponse après la révolution de la liberté et de la dignité. Plus, en nous adressant à la municipalité pour nous enquérir de quelques adresses utiles à notre enquête, telle que celle de l'association des chômeurs, on nous lance qu'on n'en a aucune trace... Ce n'est, du reste, qu'un petit chapitre de toute une histoire. Une histoire qui oppose quêteurs de la vérité et ceux qui cherchent à la dissimuler. La Tunisie dans tout ça ?