Par Abderraouf YAICH* Pour beaucoup de familles tunisiennes, les épreuves de révision comptable auxquelles sont soumis leurs enfants sont vécues comme un véritable calvaire. Cette situation est-elle normale ou s'agit-il de l'effet d'enseignants formant un courant professionnel malthusien qui ont maintenu leur mainmise pendant les vingt années de la dictature déchue sur le jury d'expertise comptable et dont, malheureusement pour la Tunisie post-révolution, la présence s'est clairement manifestée dans les méthodes et résultats de la session de juillet 2011. Si les trois épreuves de cet examen national et leurs corrections ont toujours posé des problèmes plus ou moins graves selon les sessions, l'épreuve qui a toujours constitué un vrai goulot d'étranglement est incontestablement l'épreuve de révision comptable, c'est-à-dire l'épreuve de spécialité donnée et corrigée par des experts-comptables qui cumulent souvent leur fonction d'enseignant avec l'exercice de la profession libérale et qui cumulent aussi les fonctions d'enseignant en révision comptable et de membre du jury. Bien que le jury se soit toujours, nonobstant des revendications écrites adressées au ministère de l'Enseignement supérieur avant et après la révolution, abstenu de publier des statistiques officielles (ce qui constitue en soi un déni de transparence indigne d'un jury national), grâce aux efforts des étudiants, nous avons pu, enfin, pour la session de juillet 2011, collecter les statistiques suivantes : Sur les 1.491 candidats qui se sont inscrits aux examens, seuls 1.189 candidats se sont présentés aux examens, sachant que l'inscription est payante. Sur les 921 candidats qui se sont présentés à l'épreuve, goulot d'étranglement, du module de révision comptable, les résultats ont été les suivants : - Moyenne générale des candidats : 3,95/20. - Nombre de personnes ayant obtenu la moyenne y compris les personnes ayant bénéficié d'une majoration de note pour rachat (en sachant que 65% des admis ont été rachetés avec majoration d'une des notes des trois modules) : 29 sur 921 candidats, soit un taux de réussite au module de révision comptable, goulot d'étranglement, de 3%. Il est vrai que ce type de résultats sinistres a caractérisé ces épreuves pendant les vingt dernières années sans que les responsables du ministère de l'Enseignement supérieur ne daignent se soucier de comprendre le pourquoi de l'ampleur de l'échec qui place indubitablement la Tunisie champion du monde de l'échec aux examens d'expertise comptable. Mais que ce type de taux d'échec, soit 97%, se maintienne après la révolution du peuple tunisien contre la dictature, sans que les raisons objectives de l'échec massif ne fassent l'objet d'une explication officielle donnée par une commission d'enquête compétente et indépendante et qui reçoit la confiance des étudiants et de leurs parents, ce serait vraiment insupportable. Cela m'amène à demander à Monsieur le ministre de l'Enseignement supérieur de désigner une commission indépendante et ayant les qualifications et compétences pédagogiques adéquates pour se pencher sur le dossier et fournir au public une explication autre que celle simpliste qui a toujours été avancée par les responsables de cette situation qui attribuent le taux d'échec de 97% au module révision comptable au faible niveau des candidats qui, de surcroît, sont pour la majorité écrasante redoublants, triplants, quadriplants (mes connaissances en langue française s'arrêtent là, je suis incapable de trouver l'appellation pour désigner ceux qui passent l'examen pour la 5e fois, 6e fois... 10e fois, etc.). Un résultat global digne du Guinness Book des échecs aux examens Sur 1.189 candidats ayant passé l'examen avec un nombre variable d'un module à l'autre en raison du report des notes, environ 30 candidats ont obtenu la moyenne et 50 candidats ont été rachetés à partir de 9,25/20, soit un taux d'admission global à l'écrit de 6,8% (81/1.189) et un taux d'échec global de 93,2%. Parmi les candidats admis à l'écrit, la majorité écrasante est constituée par des redoublants d'une ou de plusieurs années. Aux exigences maximales du jury à l'égard des étudiants correspondent des exigences minimales que le jury s'impose à lui-même En quoi le comportement du jury, et particulièrement de certains de ses membres, est indigne d'une Tunisie libre, démocratique, juste et équitable ? Dans un contexte normal offrant toutes les garanties légitimes aux candidats, personne n'aura contesté les résultats, même si aucun candidat n'a réussi. Or si le jury prétend que seul un examen élitiste justifiant des exigences maximales à l'égard des étudiants permet le maintien d'une profession d'élites (élitisme qui se manifeste à travers un niveau de difficultés d'une épreuve professionnelle sans équivalent au monde et que la plupart des professionnels en exercice sont incapables de traiter), ce prétendu élitisme ne saurait justifier de bafouer les droits légitimes des étudiants à une évaluation pédagogique équitable. C'est ainsi que selon une croyance constante inculquée dans l'esprit de la majorité des experts-comptables membres du jury participant à la proposition des sujets d'examen et à la correction des copies, un niveau de difficultés très élevé, prétendument conforme aux standards internationaux, permet de maintenir un haut niveau professionnel en Tunisie (en sachant que le taux de réussite aux examens comparables dans les pays développés varie de 40 à 80% et que le diplôme tunisien si difficile qu'il soit n'est reconnu par aucun autre pays). Ce même jury qui se plaît à soumettre les candidats aux standards les plus exigeants, pratique pour lui-même une culture du moindre effort en déniant de se soumettre aux standards et pratiques les plus usuels pour des examens similaires au niveau international, ce qui prive les candidats des garanties les plus élémentaires, enracine le sentiment d'injustice, d'iniquité, affecte la santé psychologique et physique des candidats (ceux qui échouent comme ceux qui réussissent) et pose le problème de la légitimité et de la qualification pédagogiques des membres du jury qui ont failli à leur devoir de garantir une évaluation équitable pour chaque candidat. *(Diplômé d'expertise de gestion comptable de l'Etat français)