par Abdelhamid Gmati La corruption est un phénomène multiforme qui touche tous les pays. C'est ce qu'on affirme partout et il existe même des organismes internationaux qui mesurent et publient chaque année le degré de corruption de chaque pays. Et cela ne date pas d'aujourd'hui: déjà du temps des Romains, le phénomène était répandu, était considéré comme très grave, particulièrement lorsqu'il impliquait les magistrats et était sévèrement réprimé. Une définition précise qu'on distingue deux types de corruption, «la corruption active consiste à proposer de l'argent ou un service à une personne qui détient un pouvoir en échange d'un avantage indu; la corruption passive consiste à accepter cet argent». On la désigne de plusieurs façons, selon les régions, selon les pays : kahwa (chez nous et nos voisins), pot-de-vin, dessous-de-table, gracieuseté, graisser la patte, commission, pourboire (en France), bakchich (dans l'Empire ottoman), payola (USA), aspects culturels de la dépense (Vietnam), frais commerciaux extraordinaires (Union européenne), gombo (Cameroun), mange-mille (policier africain véreux)… Notre pays n'y a pas échappé, mais sous le régime dictatorial, elle a été largement étendue, Ben Ali, lui-même, la pratiquant assidûment. Elle était de notoriété publique et d'une façon ou d'une autre, on essayait d'y avoir recours pour faire avancer les choses (ne serait-ce que d'essayer de se faire enlever une amende, ou d'obtenir rapidement un document administratif. Et dès le début de la révolution, on a dénoncé la corruption et appelé à demander des comptes aux corrompus, qui se comptent pas milliers, à tous les niveaux et dans tous les domaines. Et c'est à l'occasion des derniers procès des barons de l'ancien régime, dont les jugements ont été perçus comme trop complaisants, que l'on s'est tourné vers la magistrature. Des avocats, des magistrats et d'autres représentants de la société ont protesté, qui par des manifestations, qui par des déclarations. Requêtes : assainir la magistrature des symboles de la corruption, consacrer l'indépendance de la justice. De fait, l'Association des magistrats tunisiens avait appelé à «la libération de la magistrature» dès le mois de février dernier. Cette même association s'est engagée à constituer une commission chargée d'établir une liste des magistrats corrompus. Plusieurs actions ont été entreprises depuis la révolution : des juges ont été écartés de leurs fonctions ou mis à la retraite, gel des avoirs et confiscation des biens de certains juges, mandat de dépôt contre un juge, interdiction de quitter le pays pour certains autres; il y a même une cinquantaine de juges qui ont porté plainte pour diffamation, car leurs noms figuraient sur une liste (fictive ? inventée?) publiée sur Facebook. Le gouvernement, ne voulant pas se mouiller, s'est débarrassé du dossier en le confiant aux magistrats eux-mêmes. L'essentiel est que les choses bougent, mais il faut agir avec beaucoup de prudence, de doigté et de justice. Tous les magistrats ne sont pas corrompus, loin s'en faut. Et il faut prendre garde à ne pas sombrer dans les règlements de comptes ou les dissensions (AMT versus Syndicat). La justice est un acteur de base de la démocratie et les magistrats doivent avoir la pleine confiance de l'opinion publique. Où irions- nous si les juges étaient suspects et perdaient la confiance du peuple? Il y a là aussi un problème de communication et de transparence à résoudre. Que fera-t-on des magistrats corrompus ? Une question de discipline ou des sanctions pénales ? Attention aux méfaits du corporatisme! La lutte contre la corruption ne doit en aucun cas être limitée à quelques barons de l'ancien régime, à quelques magistrats ou à ceux que dénoncent les uns et les autres sous forme de diffamation. La corruption était généralisée et touchait aussi bien le policier (annulation d'une contravention), que le gardien de prison (facilitation d'une visite de la famille du détenu) et même le petit employé d'une municipalité (livraison rapide d'un document). Car la corruption n'est pas une force impersonnelle mais émane d'une volonté personnelle, due essentiellement à la cupidité, et encouragée par le constat que la corruption est difficile à prouver. Le corrupteur ne signe pas de chèques mais octroie de l'argent ou des services, «sous la table», incognito. Cette lutte contre la corruption qui est menée à l'échelle mondiale est indispensable à la démocratie. Sinon les biens mal acquis profiteront toujours.