Par Mohamed Ridha BOUGUERRA Après Hammem Laghzez dont les forêts ont été ravagées au mois de juillet par de terribles incendies, après Béchateur près de Bizerte dont les bois ont connu, tout récemment, le même sort, c'est au tour des forêts d'Aïn Draham et de Ghardimaoui de partir en fumée ! Quinze départs de feu simultanés y ont eu lieu ce samedi 3 septembre ! Le même jour, un incendie a gravement endommagé le parc Chakwak à Tozeur ! Et dans tous ces cas, les pyromanes courent toujours ! On évoque, généralement, des projets de spéculation immobilière pour expliquer ces incendies criminels. Il serait plus judicieux sans doute de parler d'un plan politique qui pratique sciemment la tactique de la terre brûlée car, à l'évidence, le hasard ne peut en aucun être invoqué lorsqu'il s'agit de quinze départs de feu simultanés ! Comme si cela ne suffisait pas, à Jbéniana les désordres qu'a connus la localité au début du mois de Ramadan ont repris de plus belle avec l'Aïd. Plus grave encore, à Sbeïtla comme à Douz, le couvre-feu a été instauré, le vendredi 2 septembre, après des incidents et actes de déprédation qui n'ont pas épargné le service des urgences de l'hôpital de Sbeïtla ! N'est-ce pas encore la politique de la terre brûlée qui est mise en œuvre ici ? Il est, en effet, à observer que les violences qui ont secoué le même jour, le même soir, Douz et Sbeïtla et, le lendemain, Jbéniana, obéissent à un scénario identique, à savoir des rixes entre jeunes qui se transforment en assauts entre groupes, nous dit-on, rivaux, utilisant armes blanches et fusils de chasse. Et l'on nous ressort, de nouveau, la vieillerie d'arouchia et les antiques organisations claniques antagonistes, l'on nous servira bientôt le suranné phénomène du tribalisme ! Enfin, à Menzel Bouzaïane, c'est le local du parti Ettajdid qui a été attaqué par des inconnus qui ont menacé d'y mettre le feu. Autant dire qu'après la relative et assez calme parenthèse ramadanesque, ‘'les choses sérieuses'' reprennent en fanfare ! Est-ce vraiment jouer au mauvais prophète que de prédire que la rentrée politique s'annonce pleine de risques et que les préparatifs pour la campagne électorale de l'Assemblée constituante seront tout sauf un long fleuve tranquille ? En raison du mutisme du ministère de l'Intérieur sur l'identité des commanditaires de ces violences, la question que tout Tunisien se pose aujourd'hui est : " Qui sont les auteurs de ces violences, incendies et agressions ? " On peut poser la question autrement : " A qui, à chaque fois et dans tous ces cas, profite le crime ? " A moins de nier l'évidence, il faut donc en convenir : derrière ces événements des mains obscures n'ont attendu la fin de Ramadan que pour agir à grande échelle et de façon assez spectaculaire. Il faut appeler les choses par leur nom et ce n'est pas donner dans un quelconque romantisme révolutionnaire que de parler ici de contre-révolution ! A celle-ci, il faut aussi donner un visage précis et le premier qui se présente en toute logique à l'esprit est celui du RCD. Manifestement, les rescapés du parti dissout sont loin de lâcher véritablement prise et le prouvent en se transformant en fauteurs de troubles et en activant les anciennes milices de triste mémoire. Ainsi, le principal objectif du moment des nostalgiques de l'ancien régime encore actifs semble être de créer une large démobilisation de la société afin de provoquer l'échec de la prochaine échéance électorale du 23 octobre. En multipliant les actes de violence, on met en pratique une manœuvre d'intimidation politique : on mise ainsi sur la peur et l'abstention de l'électorat. On escompte, surtout, un taux de participation dérisoire au scrutin qui signera la mort de la transition démocratique et videra les élections de toute la signification politique qui devrait être la leur. Qu'a-t-on prévu alors pour garantir un déroulement normal de la campagne électorale et assurer un scrutin sans incidents majeurs ? Quelles dispositions de sécurité essentiellement ont-elles été prises afin de rassurer les citoyens et ainsi les encourager à se rendre aux urnes ? Le succès de l'opération électorale prévue le 23 octobre dépendra largement des mesures sécuritaires qui seront annoncées pour tranquilliser les électeurs, leur rendre confiance et, ainsi, faire échouer le plan machiavélique qui agite l'épouvantail des violences et du désordre. Pour importante qu'elle soit, la nuisance des milices du RCD, il faut le reconnaître, n'est pas, hélas, ici la seule en cause. D'autres acteurs sont aussi partie prenante dans la situation que nous traversons et dont la principale caractéristique est la démobilisation de bon nombre de nos concitoyens dépassés par le mystère des inconnus qui, dans l'ombre, tirent les ficelles, sèment le désordre et pratiquent la politique de la terre brûlée. Disons-le clairement au risque de mécontenter un important secteur de l'appareil d'Etat : nos forces de l'ordre se sont-elles montrées toujours loyales après le 14 janvier ? Le vide sécuritaire constaté à des moments cruciaux comme à Sbeïtla, au dire de certains, ne laisse-t-il pas augurer du pire pour les semaines décisives que nous allons connaître d'ici le 23 octobre ? D'autre part, n'a-t-on pas vu, vers la fin de Ramadan, des agents des services de sécurité manifester devant le ministère de l'Intérieur pour réclamer la libération des agents impliqués dans des meurtres de manifestants durant la Révolution ? A-t-on réellement mesuré ce que cette demande d'impunité a de choquant pour les parents des jeunes martyrs ? Quel exemple certains membres des forces de l'ordre cherchent-ils à donner en plaçant ainsi au-dessus des lois quelques individus ayant affaire à la justice? N'y a-t-il pas dans ce genre de manifestations une atteinte à l'ordre républicain et au prestige de l'Etat ? Ne faudrait-il pas s'attendre, en retour, à ce que les parents des martyrs aussi descendent demain dans la rue pour réclamer, eux, justice et exiger le châtiment de ceux qui leur ont ravi la vie des leurs ? Mais si l'appréciation de l'action de notre police nationale nous donne, dans certains cas, de sérieux motifs d'inquiétude, nous n'en avons pas moins quand on examine le domaine judiciaire. Ne parlons pas de la lenteur exaspérante avec laquelle des dossiers sensibles sont étudiés, voire le silence assourdissant qui entoure certains cas emblématiques, à l'instar de celui des trois anciens barons du palais de Carthage dont on n'a plus aucune nouvelle après qu'ils nous ont été jetés en pâture au début de la Révolution afin de nous leurrer et de nous faire croire que la rupture avec le passé est consommée ! Contentons-nous simplement ici de rappeler l'ahurissante fin de non-recevoir opposée par le syndicat des magistrats à la demande populaire, officiellement entérinée par le gouvernement, d'établir une liste noire des juges les plus notoirement corrompus ! Un pareil et sidérant refus peut-il servir seul de politique et suffit-il pour nous convaincre de la propreté au-dessus de tout soupçon des gens de robe ? Les intéressés peuvent-ils honnêtement se considérer juge et partie dans cette si délicate affaire dont dépendra la réputation et la crédibilité de tout le corps judiciaire ? Ne faudrait-il pas plutôt se décider, enfin, dans le milieu de la justice, à ce qu'un grand coup de balai soit donné dans cette termitière afin d'en chasser les éléments les plus compromis avec l'ancien régime au service duquel ils avaient si servilement mis leurs nobles fonctions ? Pour défendre quelques intérêts personnels, catégoriels et corporatistes faudra-t-il sacrifier tout un service de l'Etat ? La politique de la terre brûlée pratiquée par les uns et les autres, au sens propre comme au sens figuré, risque fort, hélas, si l'on n'y met pas rapidement un terme, de conduire le pays vers l'inconnu. Il est grand temps de prendre immédiatement des mesures énergiques afin d'empêcher le diabolique complot de la contre-révolution avec ses diverses composantes de réussir. Il est urgent de sauver le processus électoral. Les fauteurs de troubles, les milices du RCD et autres Trabelsi doivent, néanmoins, savoir que la société civile ne baissera pas les bras et que le peuple qui s'est déjà débarrassé d'un vil tyran et de son clan mafieux ne se laissera plus faire et qu'il se soulèvera sans aucun doute de nouveau si nécessaire pour l'édification d'une Tunisie moderne, égalitaire et démocratique.