Mercredi, quelques minutes avant le spectacle, une grande foule en attente devant l'Acropolium. Un public, à majorité tunisienne, venu découvrir, revoir ou encourager un jeune joueur de qanûn. On voit que le musicien Anis M'rad et ses «potes» de scène ont battu la campagne, ratissé large, ils ont convaincu le cousin qui a informé le voisin, le cercle de la famille, leurs amis et les voisines du quartier. Ça a payé et le public s'est formé vite et nombreux. Anis a trois atouts en main : la jeunesse, le talent et l'attachement à son qanûn, ce qui, en principe, est amplement suffisant pour la réussite. Initié à la musique dès 11 ans, six années d'études de piano dans un conservatoire privé «chez des professeurs de qualité», nous dit-il, puis, changement de cap, il touche à la guitare classique, caresse un moment le ûd pour se saisir définitivement du qanûn, sa grande découverte qu'il «n'abandonnera plus», volage ? De toute façon, à le voir jouer, il exhale cet air de bonheur du musicien qui embrasse son instrument pour toujours. La passion de la musique, il la doit au Dr Jamel Abid, envers qui il a une dette, insiste-t-il. Il participe à des festivals, à Topkapi en Turquie, à une rencontre ethno en Belgique, en Angleterre et à Bastia au festival Instrumento. Ce soir, il se produit pour la première fois dans le cadre de l'Octobre musical. Le programme est intitulé « Qanûn Rhapsody», le projet est présenté comme une idée où le qanûn est dans tous ses états, alliant les styles musicaux du folklore turc, andalou et tunisien au jazz, au blues et à la world music avec une touche méditerranéenne. Autant de genres musicaux ne pèsents-il pas lourd pour un jeune homme, aussi doué soit-il? Voyons. Ventilé en trois parties, la première regroupe des morceaux en solo, d'origine turque en mode nihavent Saz Semaïsi, Nicaz Medley et Sulatnî, Yegâh, exécutés avec brio, sans effets de manche. Le public a flairé la qualité du jeu, apprécié l'artiste dans les rythmes lents (musique de contemplation). Les yeux mis-clos, concentré, l'esprit pénétré par ses notes, Anis prépare son public à une suite rassurante. Métissages En deuxième partie, le musicien invite son ami luthiste Mehdi Ben Romdhane pour un morceau instrumental tunisien, Farha: un dialogue, plutôt une joute se met en place, ordinaire, sans relief, suivis d'une interprétation d'Astrakhan Café d'Anouar Brahem, studieuse et appliquée. Jihad Khmiri, le percussionniste entre en scène de nouveau. Il manipule une batterie d'instruments : cloches chinoises, cajon espagnol; des compositions de Anis, intitulées China Town, H'wé ou Funky Blues. Qanûn, ûd et des percussions venues de loin, ensemble cela donne quoi ? Musique du monde ou world music, deux noms pour un genre franchement indéfini, qui inclut tout et rien, du bon et des déchets. Prenez des sons de cordes de ûd ou de guitare, des tintements de cloches et cymbales, des souffles de flûtes de bambou ou d'un bangdi chinois, des échos de calebasse ou de tambourins, des onomatopées ; mélanger, verser dans un shaker, secouer, servir et apprécier, c'est du world. La troisième partie du programme comprend du chant, Sana Naccache se joint au trio, «elle s'est adaptée à notre musique, indique Anis, son genre c'est du rock métal».A petits pas, une chanson douce, des modulations maîtrisées, des trémolos agréables noyés par moments dans les résonances des instruments. Que retient-on ? Un joueur de qanûn à notre sens doué, ses partenaires le sont tout autant, mais un programme visiblement peu préparé pour participer à l'Octobre musical. Péché de jeunesse ? Le public apprécie, cris d'admiration, standing ovation et propos encourageants, Anis M'rad est sur un nuage, «c'est un grand moment que je vis», nous déclare-t-il.