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Ce snob sourire qui fut le vôtre
Publié dans La Presse de Tunisie le 01 - 11 - 2011


Par Hayet BEN CHARRADA
Il paraît que les résultats des urnes ont vivement interpellé les intellectuels et parmi eux les enseignants universitaires et chercheurs tunisiens. Ils sont d'ailleurs venus nombreux à la télévision, notamment nos collègues sociologues, anthropologues et spécialistes des civilisations anciennes et modernes, pour «expliquer le phénomène» aux téléspectateurs. Que les jeunes et dans le lot une majorité d'étudiants et de diplômés universitaires aient voté quasi-unilatéralement pour un parti de droite, religieux et par principe conservateur méritait à leurs yeux une réflexion et une analyse «académique». Aussi, de l'académisme, s'en sont-ils donné à cœur joie ! Et d'interminables débats gorgés de termes scientifiques tels que : paradigmes/syntagmes/modernité/modernisme/modernisation (etc.) sont venus égayer nos petits écrans des heures d'affilée, de quoi nous donner le tournis. Un discours théorique sur fond de palabre terminologique qui n'a pas manqué d'impressionner le profane téléspectateur sans l'éclairer pour autant sur le choix électoral en question. C'est pourquoi, je vais me permettre, et pourquoi pas puisque tout le monde se permet beaucoup de choses en ces temps de liesse démocratique, je vais me permettre donc de rebondir sur la réaction ou posture de nos enseignants chercheurs pour essayer de dire deux choses intimement liées :
1) Leur académisme aurait dû habiliter nos professionnels du savoir à développer une vision projective de la situation et non pas seulement rétrospective. En effet, c'est une affaire bien facile de gloser sur des faits accomplis. En revanche, c'en est une autre d'en voir la gestation et le dessein à l'horizon. De fait, au vu de la situation très singulière, voire ambiguë, des institutions sociales, politiques, scolaires et universitaires pendant des décennies, nos chercheurs avaient bien de la matière à problématiser; s'ils s'en étaient donné la peine, ils auraient vu venir bien des événements atypiques ou encore «surprenants», au moins ceux-là mêmes dont ils font aujourd'hui des gorges chaudes.
2) Le devoir des enseignants universitaires, qu'ils n'ont pas entièrement honoré, était et est toujours, d'ailleurs, de consolider un lien éthique et surtout intellectuel avec leurs jeunes étudiants, ce qui est de nature à faire faire aux uns et aux autres l'économie de toutes sortes de surprises; or, on vérifie depuis des lustres une triste rupture sur presque tous les plans entre les premiers et le seconds. Au point qu'on croirait qu'ils vivent sur deux planètes distinctes. Et là je pense, non sans nostalgie, au rôle d'exemplarité et pourquoi pas de guidance intellectuelle que, il fut un temps, le prof jouait de bon cœur au bénéfice de ses émules.
Pour ce qui est du premier point, je veux juste évoquer un aspect de fait et non de théorie, celui d'une certaine vision du monde importée par petits lots et de manière progressive mais tenace en Tunisie jusqu'à intégrer les structures mentales et en constituer une seconde peau pour ainsi dire. Je pense à toutes sortes de modèles (des idées et des modes de penser, de s'habiller et de se conduire) d'Orient et notamment de l'Arabie Saoudite et des pays du Golfe arrivés chez nous via les voies satellitaires (El Jazira en l'occurrence a été imbattable à cet égard) ou des porte-parole incarnés par des personnages formés à des écoles traditionnelles (Al Azhar et d'autres institutions religieuses) et qui de retour au pays faisaient école par eux-mêmes dans le cadre des mosquées et de toutes sortes de cercles. Je pense aussi à la frilosité et à ce qui était devenu, notamment aux toutes dernières années de l'ère Ben Ali, une horrible démission des actants culturels : les ministères de l'Enseignement (scolaire et universitaire) et celui de la Culture ayant intégré le ronronnement et un sommeil collectifs devenus l'activité dominante dans un pays dirigé par une équipe politique formatée, innervée et dans beaucoup de cas la tête dans le râtelier. Et puis le désert culturel qu'on sait : pas de clubs de théâtre, de cinéma, de lecture, d'écriture dans les écoles; des maisons de la culture transformées en salles de jeux, en fumoirs et certaines salles de ciné muées en dépôts ou en gargotes. Et bien sûr, à ne pas oublier l'exemple à la tête de la pyramide sociale : une famille régnante toute-puissante qui fréquentait les diseurs de bonnes aventures, lesquels ont essaimé un peu partout dans le paysage urbain. Bien entendu, je n'ai pas tout dit, impossible de le faire dans les limites de ce petit propos. Cependant, face à cette vague tentaculaire de désertification intellectuelle dont je ne sais si elle a été planifiée ou si elle est spontanément tombée sur nous comme une absurde fatalité, il eût fallu de la résistance, de la résistance et encore de la résistance, au dire du sympathique Stéphane Hessel. Or y en a-t-il eu ? Et c'est là que j'en viens à mes chers enseignants universitaires et chercheurs. Ce qui me fait rejoindre mon second point.
Comment nos universitaires ont-ils résisté à l'abrutissement massif ? En avaient-ils les moyens ? Ont-ils jamais cherché à le faire ? Voilà de vraies questions pour dorénavant les occuper à la place des palabres terminologiques.
Je prétends que les universitaires n'ont pas ou ont très peu résisté à l'avalanche. Excepté des militants qui étaient cachés et que je n'ai donc pas rencontrés. Sinon, pour l'observateur ordinaire, ce qu'il y avait, ce qu'il y a encore à l'université depuis plus de vingt ans, c'est des prof/essionnels tout comme le banquier, le boucher, l'épicier ou le chiffonnier qui bossent, bouffent, prennent le métro et, la nuit, gagnent leur lit pour jouir du sommeil des justes. Comme tout le monde. Bien sûr, quand ils se croisent dans l'enceinte universitaire, ils le deviennent moins, comme tout le monde; là, ils sont ou dégoûtés, déprimés, ou fâchés (contre le système) et bouillonnants à souhait; ou indifférents et blasés, mais au total, ma foi, heureux. Heureux d'être payés pendant des vacances interminables (l'été, les week-ends, les jours de crue, le 7 novembre et lors des compétitions sportives, etc.), tandis que les autres cavalent comme des damnés la plupart des jours que le Bon Dieu fait. Heureux d'être intéressants, savants et pas au chômage comme le sont ou vont devoir l'être leurs étudiants; heureux d'avoir la chance de ressembler à des rentiers, même si le montant de la rente prête souvent à controverse. Et qui sourient avec une snob amertume. Ils sourient de la précarité du niveau des étudiants, des fautes sur leurs copies devenues au fil du temps de vrais chiffons. Ils sourient du bac, devenu une fête foraine (le mois de juin n'est-il pas devenu une grasse saison pour les confectionneurs de pâtisseries tunisiennes grâce aux mariages d'abord et au bac ensuite ?). Et de l'université, en tout cas celle des sciences humaines transformée en véritable auberge espagnole ! Une arche de Noé dit-on; et cela grâce à un système d'orientation plus favorable visiblement aux humanités qu'aux autres champs du savoir.
Tout cela pour dire que les enseignants ont raté par découragement, cynisme (?) ou laisser-aller, un enjeu essentiel, à savoir : développer l'esprit critique de leurs condisciples, lequel est la clé de voûte d'une formation universitaire digne de ce nom. Un esprit critique, le seul à même d'armer l'individu contre l'agression propagandiste, le suivisme, la superstition, bref tout ce qui s'oppose à la liberté de conscience et l'habilité réelle au choix dans quelque domaine que ce soit. Un esprit critique et de synthèse à mettre en place en classe sur le temps et tous les jours que le Bon Dieu vous désigne pour assumer cette responsabilité et pas sur les plateaux de télé, uniquement.
Suis-je en train de dire que le vote pour Ennahdha équivaut à une action populiste sous-tendue par l'ignorance, une lecture orientée de la religion et une perversion du principe spirituel ? Non, cela n'est pas mon objectif. Cela l'est d'autant moins que le parti en question fait entendre un discours qui ne le distingue en rien de ses homologues et ne manifeste aucune volonté d'activer l'aspect religieux de son identité au point que d'aucuns en sont à se demander en quoi ce parti se différencie des autres dits laïques. Ce qui m'importe, c'est juste de dire que les intellectuels et les enseignants universitaires en particulier avaient, ont et auront toujours le devoir de former leurs apprenants à une approche critique et multidimensionnelle du réel. Laquelle approche est la lunette objective leur permettant d'être des citoyens libers dans leurs choix, leur pensée et leur conscience, entendons par cet attribut de «libre» la capacité de comparer, de réfléchir et de juger entre plusieurs alternatives avant de (se) ruer dans une seule direction, surtout quand celle-ci constitue un véritable carrefour et le lieu de convergence des masses. De fait, mon respect pour l'intellect et ma conception (très classique, il faut dire), de l'étudiant universitaire me poussent à y voir une femme, un homme que leur formation est supposée avoir rendus éligibles à la réflexion mûre, nuancée et synthétique et qui sont appelés nécessairement à sortir du lot. Une femme, un homme dignes d'émettre un choix motivé au sens authentique du terme. Or, ce qui confirme malheureusement ma grogne, c'est qu'en ayant discuté avec des jeunes à propos de leur faveur envers ce mouvement politique particulier , rien dans leur argumentaire ne m'a permis de relever les élements d'une posture de principe ou d'une option fondée sur des raisons objectives et stratégiques liées à un idéal, à une conception de soi et du monde spécifiques : ce qui m'aurait fait ficher mes doutes dans la poche et un mouchoir par-dessus. Non leurs raisons sont en réalité les mêmes que celles qui courent dans les milieux très ordinaires : le retour à la morale et donc à Dieu, le recul de la licence féminine et le nettoyage après le passage de Ben Ali. Trop peu pour moi et tellement dérisoire dans la bouche d'une jeunesse dont les pères et mères ont quand même assuré avec cran et succès la relève au départ du tuteur colonial. Trop peu aura été aussi, à mes yeux, le snob sourire de nos intellectuels. Insuffisant pour arrêter le rouleau compresseur et le nivellement par le bas.


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