Préjugés qui accablent à tort les sciences humaines. Déficit d'image, déficit de communication : les étudiants y vont presque résignés et à contre cœur ! Aujourd'hui, l'Université tunisienne accueille de moins en moins d'étudiants dans les départements des sciences humaines et en particulier dans ceux de la philosophie et de la sociologie. D'ailleurs, les établissements supérieurs qui donnent lieu à ces spécialités se comptent sur le bout des doigts à l'échelle nationale. Dans les classes de philosophie et de sociologie, le nombre des inscrits est généralement trois fois supérieur à ceux qui assistent aux cours et, pendant les examens, les 2/3 des candidats sont défaillants. Une telle désaffection s'explique par l'absence de débouchés pour les diplômés des deux filières évoquées. Ces derniers y ont été orientés faute de mieux, leurs moyennes au baccalauréat et leurs scores au moment de l'orientation ne les autorisant pas à effectuer d'autres choix. Il paraît, d'après certains universitaires, que le public des deux matières est constitué, dans son immense majorité, des élèves les moins performants du secondaire. Ce sont presque toujours des littéraires qui n'avaient brillé dans aucun enseignement et qui avaient eu leur bac avec 9 ou 10 de moyenne générale. En sachant que ces « rescapés » ont bénéficié de divers « coups de pouce » pour réussir, on peut imaginer leur niveau intellectuel lorsqu'ils passent du secondaire au Supérieur. Si beaucoup parmi eux s'absentent durant toute la première année (aux cours et aux examens), c'est dans l'espoir d'être réorientés l'année suivante vers une filière qui garantit plus de chances au niveau de l'emploi.
Déficit d'image Nous avons lu, il y a peu, une communication de M.Béchir Tlili (professeur de sociologie à Tunis) sur la dégradation que subit l'image du sociologue et sur son rôle de moins en moins considéré dans les sociétés arabes d'une manière générale. Le ton sur lequel le texte de la conférence est écrit atteint au pathétique le plus touchant et laisse croire que l'avenir de ce métier est dangereusement menacé sous nos cieux. Nos pays se passeraient-ils désormais des services du sociologue ? Faut-il craindre le même sort pour les philosophes ? La sociologie et la philosophie n'ont-elles plus droit de cité parmi les branches du savoir utiles au progrès et au bonheur de nos sociétés ? Comment se fait-il que dans tous les pays développés, on accorde encore de l'intérêt à ces deux sciences et que l'on prenne en considération les travaux de leurs chercheurs respectifs ? Est-il vrai que nos institutions éducatives, économiques, religieuses, sociales, culturelles et politiques n'ont plus besoin d'études sociologiques susceptibles de les aider dans leur action en vue de faire évoluer les réalités dans ces divers domaines ? La situation inquiétante qui prévaut actuellement dans ces deux départements mérite réflexion et exige des mesures urgentes et efficaces pour revaloriser les deux professions (sociologues, philosophes) lesquelles restent, en dépit des choix économiques adoptés, essentielles pour le développement sûr et durable des sociétés.
Les problèmes en psychologie Dans le département de la psychologie, et bien que les choses se présentent plus avantageusement, des insuffisances, voire des failles graves, persistent. De plus, la spécialité pâtit de certains préjugés nullement fondés qui circulent non seulement à propos de son employabilité, mais aussi au sujet des enseignements qui y sont dispensés. Pour parler des problèmes de la filière, nous avons donné la parole à Mme Dorra Ben Alaya, directrice du département de psychologie dans un institut supérieur de Tunis. Voilà comment elle décrit la situation : « Il est faux de penser que les sciences humaines n'ont plus de rôle social à jouer. En ce qui concerne la psychologie, c'est une discipline dont on mesure de plus en plus l'importance aujourd'hui. En effet, le psychologue est indispensable dans une multitude de domaines et contrairement à l'image réductrice qu'on en donne, ce n'est pas une science portée uniquement sur les pathologies psychiques et mentales. Nous pouvons contribuer très efficacement à la lutte anti-tabagique, à l'atténuation des effets de l'alcoolisme et de bien d'autres addictions, à la maîtrise de l'énergie, à la protection de l'environnement, à la prévention des troubles de l'apprentissage chez les enfants, à la baisse des taux d'échec scolaire, à la prévention de la délinquance, aux projets de réinsertion sociale. Bref, tout ce qui pose problème dans la société nécessite aujourd'hui l'expertise d'un psychologue. La demande est, comme on le voit, très forte et notre filière garantit un taux d'employabilité remarquable. Mais cela, les bacheliers ne le savent pas assez. Ils ignorent peut-être aussi qu'en Tunisie, il existe un statut pour le métier de psychologue. C'est sans doute pour ces raisons que les départements de psychologie ne sont pas nombreux dans notre université (deux seulement) et que le nombre de nos étudiants reste relativement limité. Sur un plan plus officiel, la lacune actuelle dans notre secteur se traduit par une flagrante inadéquation entre la forte demande en compétences et l'inapplication des normes internationales en matière de recrutement. Nombreuses sont encore les institutions qui fonctionnent sans l'apport du psychologue, à commencer par les établissements scolaires et universitaires. Nous manquons par ailleurs de personnel enseignant au Supérieur. Autre faille : il s'agit d'une lacune au niveau de la loi qui ne reconnaît pas encore le statut de psychothérapeute et l'on tolère aujourd'hui que quiconque a suivi une formation (même non académique) dans les techniques de thérapie psychologique exerce ce métier, profession qui ne requiert pas du tout la même formation que celle du psychologue et du psychiatre !»