Entre la préparation d'un rapport sur l'état des lieux de la presse et sa réforme et l'engagement autour des législations non encore entérinées, l'Inric a entrepris de mettre bout à bout l'expérience médiatique de la révolution de velours et les premiers pas libres de l'information tunisienne d'après la révolution... Point de modèle sur mesure. Juste deux jours de clés et de scénaris rigoureusement livrés par des experts tchèques triés sur le volet pour avoir été, au mois de novembre 89, les acteurs de la rupture avec les années de plomb et assumé, dès lors, les vingt ans de liberté... Des zones d'ombre autour des élections, leurs résultats et leurs irrégularités à la précocité des coulisses du prochain gouvernement, en passant par les défaillances héritées de la première transition, les actualités de la nouvelle étape se multiplient et les enjeux grandissent. Il en est un, toutefois, de la réussite duquel tout devra dépendre : la liberté de l'information et cette question de grande acuité : comment rationaliser, garantir et inscrire dans la durée cette précaire liberté spontanément gagnée à la faveur de la révolution ? Et, précisément, comment passer d'une information au service du pouvoir à une information indépendante et d'intérêt public ?... M. Kamel Laâbidi, le président de l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication en charge de cette équation, l'articule autour de trois niveaux qu'il résume ainsi : création et engagement d'un cadre juridique de la liberté de la presse qui attend encore d'être mis en vigueur par le gouvernement de transition, production d'un état des lieux et des grandes lignes de la réforme de l'information, enfin l'acquisition et le cumul d'expériences démocratiques étrangères et des occasions d'échange. Sur ce dernier point et après avoir organisé l'atelier de juillet sur les moyens de passage de l'information gouvernementale à l'information publique, après avoir passé en revue les expériences française et belge, l'Inric vient de tenir en collaboration avec le Global Policy Institute et l'ambassade tchèque un work shop sur l'expérience des médias tchèques au lendemain de la révolution de velours de novembre 89... Trame pour une «Never Ending Story» Ils ont pris de l'âge, quelques cheveux blancs ou tête dégarnie, mais ils en témoignent fraichement et rigoureusement par power point et mémoire d'homme. Novembre 89 et la révolution de velours qui a suivi la chute du mur de Berlin et n'a coûté aucune goutte de sang à la Tchécoslovaquie, a tout de même achoppé sur des médias au service de la propagande rouge et aux mains des journalistes produits de la police politique. Ils s'appellent Tomas Trampota, Milos Cermak, Ivo Mathé et Jiri Majstr et ils viennent respectivement de l'académisme et de la recherche en matière d'information et de révolution, de la presse écrite, de la télévision et du journalisme d'agence. Il y a vingt ans, ils s'étaient engagés, nuit et jour, individuellement et en équipes, par le stylo et la caméra à prendre à bras le corps et porter à maturité cette haute responsabilité qu'ils assument à ce jour et définissent un peu comme étant une « Never Ending Story » : la libération de l'information de l'héritage de la dictature et sa mise au service de la démocratie, en particulier par la garantie de l'indépendance éditoriale des médias publics. Difficile de détailler cette expérience minutieusement présentée à travers les exemples authentiques de la presse écrite étatique, de la télévision publique et de l'agence nationale de presse, racontée en deux temps, et dans la perspective de ses vingt ans de distance. Il en est des transformations immédiates des médias dans le feu de l'action révolutionnaire, comme des évolutions et des régulations qui ont suivi et qui avaient pour but de mettre résolument l'information au service de la démocratie et de l'intérêt public. Grands moments, mots d'ordre et mots-clés suffiront, pour autant, à en résumer au moins la teneur. Au début, c'est le désordre. Quelques ressemblances entre la révolution de velours et la révolution du jasmin, mais une divergence de taille. Les responsables communistes sont partis par vagues et la majorité des journalistes impliqués avec l'ancien régime ont quitté leurs postes et se sont convertis dans les affaires. Place fut naturellement faite aux jeunes compétences journalistiques et celles marginalisées sous la dictature qui ont, dès lors, occupé l'espace et signé la rupture par un petit black listing et d'infinies pages blanches. Révolutionner les médias et redistribuer les cartes, au retour des années de plomb, nos experts le définissent comme un grand moment de responsabilité, de vérité, d'audace, mais surtout de professionnalisme et un long processus tout aussi décisif de régulation déontologique, de gain de confiance et de crédibilité auprès de la société. A oser dans l'immédiat, un changement du cadre général, une distance par rapport à l'information officielle avec cette prise de conscience du rôle profond des médias dans les révolutions: travailler à changer les mentalités, construire une société libre et démocratique. Cinq ans pour changer la société, l'habituer au pluralisme, à la liberté de penser et à l'esprit critique... Nos experts tchèques n'en ont pas donné plus chez eux. La révolution des médias a un âge ; une jeunesse à plein temps. De quoi promouvoir de nouvelles idées et oser de nouveaux projets. Elle a aussi son boom de nouveaux médias. Et la finalité de ses finalités: assurer et servir la démocratie ; bouclier des journalistes. Mais la révolution des médias a surtout ses conditions : la compétence, le professionnalisme et l'indépendance des journalistes qui la font. Tout changement n'est viable que s'il est traduit au niveau législatif inscrit dans un cadre juridique et via des procédures légales; les médias tchèques ont bénéficié de tout un arsenal. Aucune transformation n'est possible en dehors de la séparation entre les médias publics et les structures de l'Etat. Convertir les médias gouvernementaux en service d'intérêt public fut le mot d'ordre de la révolution de velours. Alors de cette expérience, on tirera au moins ceci : les scénarios, les moyens et quelques filons de l'indépendance économique; précondition de toute autonomie éditoriale, le code déontologique et les instances de régulation du secteur de l'audio visuel. Des médias traditionnels aux «integrated news room» Equilibre médias publics/médias privés, bonne gouvernance et grande vigilance face à la privatisation anarchique et aux interférences entre l'information, la politique et les affaires, l'objet étant de préserver, au-delà de tout calcul commercial et tout intérêt financier, la fonction sociale des médias aussi privés qu'ils soient... Des erreurs à éviter : le discours médiatique d'une gauche intellectuelle en décalage avec les attentes réelle de la société et l'absence lourde de conséquence d'une presse locale autonome de tout réseau national. Des leçons à tirer : comment soutenir la concurrence public / privé, comment installer les mesures d'audience du côté de la télé et comment étendre professionnalisme, droits et libertés à l'actuelle convergence entre médias traditionnels, nouveaux médias et réseaux sociaux, comme il s'en fait à l'intérieur des « integrated news room » où le scoop du réseau social et Internet en général sont mis à profit par les agences et les journaux... Les experts tchèques du work shop de l'Inric n'ont surtout pas omis de se souvenir qu'il y a vingt ans, ils ont eux-mêmes fait leurs premières leçons sur la base d'un échange d'expérience et entrepris leurs premiers pas sur les traces des vieilles démocraties; britanniques, allemandes et autres... A quelques présences furtives près, peu de responsables de médias tunisiens étaient au rendez-vous de l'échange du jour.