Par Nabil Kallala * • Revoir l'organisation structurelle et la gestion du patrimoine On a naturellement pensé à y remédier en engageant une réflexion sur la nécessité de restructurer l'institution de l'INP, une initiative qui remonte à 2010, reprise en 2011, et elle est actuellement en cours. Or, on est à présent en droit de se demander, à la lumière du tableau que je viens de dresser, et eu égard surtout aux enseignements de la révolution, si une simple restructuration est suffisante et s'il ne faut pas aller au-delà, par l'adoption d'une vision prospective, plus large plus approfondie et plus productive, comme le veut la révolution. En effet, telle qu'elle est conçue, cette restructuration ne devra pas générer des changements notoires quant aux moyens humains et logistiques de l'institution ; en plus dans son architecture même, elle ne peut véhiculer de solutions magiques aux problèmes multiples que pose la gestion de ce patrimoine. Il n'est pas exagéré de dire qu'aucune formule de restructuration, aussi idéale soit-elle, ne peut combler à elle seule ces insuffisances aussi bien au plan du personnel scientifique, technique, qu'à celui - encore plus grave - de la sauvegarde des sites dont nombreux – a-t-on observé - ne sont même pas gardés, et à fortiori, ne font pas l'objet de projets de conservation, et encore moins de mise en valeur. Ce constat amer est valable – certes à des degrés divers - pour l'ensemble des gouvernorats du pays. En effet, tant que le personnel - toutes spécialités et tâches confondues - n'est pas renforcé, de nombreux sites seront toujours livrés à eux mêmes, abandonnés. Par conséquent, la première urgence qui s'impose est de renforcer les moyens humains et financiers de l'INP. A la déficience du facteur humain s'ajoute la forte centralisation de la gestion de ce patrimoine. Tout se fait à Tunis et part de la capitale, naturellement la gestion du budget et du personnel, mais aussi du matériel roulant, de la fouille et de la restauration, allant de la brouette, à la truelle, au piochon, à la brosse etc. Toutes les décisions sont censées être centralisées aussi. En voici un cas de figure : toute découverte fortuite doit s'adresser au directeur général à Tunis, en passant par le directeur de la recherche ou des sites et monuments et/ou par l'inspecteur régional, parfois directement (le chercheur ne suit pas toujours le même circuit administratif à cause de la confusion de la répartition des tâches). Il en va de même pour tous les problèmes nombreux qui surgissent, çà et là, dans les régions. Toutes les correspondances avec les autorités judiciaires, administratives et régionales doivent émaner de lui, et il est le seul à demander au chercheur ou à l'architecte d'intervenir, alors que certaines interventions peuvent être d'une extrême urgence. Il en est de même de toutes les autorisations concernant les aménagements urbains, du territoire, les constructions, ainsi que les demandes de restauration et de sauvegarde. Et ce qui est remarquable et paradoxal à la fois, c'est que dans la plupart des cas, le DG ne fait qu'entériner l'avis du chercheur. Pourquoi alors tout ces détours, et toute cette perte du temps. En outre, il semble que l'on s'achemine, contre toute attente, vers le rattachement de l'ensemble du corps scientifique à Tunis, en ne gardant dans les régions que les futurs conservateurs. Or nous savons que la plupart de ces chercheurs travaillent justement sur les régions de l'intérieur et très peu sur Tunis, ce qui est de nature à rendre leurs activités scientifiques très contraignantes, du fait même de leur éloignement de leurs champs de recherches. Quant à celui des conservateurs, il risque d'être peu productif, faute de moyens, mais aussi en raison de l'absence même du chercheur et du technicien, se trouvant alors à Tunis. A contrario, il y aurait une proposition plus pratique et plus judicieuse à mes yeux, celle d'opérer un recentrage du travail et de la gestion de l'institution par une décentralisation effective des services de l'INP, en créant de véritables circonscriptions régionales, par gouvernorat ou deux gouvernorats ou même trois, en fonction de leur importance patrimoniale - ou au sein de toute autre division administrative régionale future - autonomes avec un budget propre et des moyens humains et matériels adéquats, à l'instar des délégations régionales d'autres ministères. C'est seulement avec cette fluidité qu'il est possible de prendre en charge de façon pratique et satisfaisante le patrimoine dans les régions et de contribuer ainsi réellement à leur développement global et durable, de concert avec les autres intervenants. Cela, d'autant que, désormais – du moins je le souhaite- les réflexions sur les régions vont devoir se faire aussi, sinon davantage, dans les régions mêmes, en tout cas, en intelligence et en concertation avec leurs habitants qui en sont les premiers concernés, d'autant qu'ils sont au fait – parfois plus que d'autres - de leurs besoins réels. C'est donc une méga institution, un important organisme qu'il faudra instituer pour une meilleure gestion de notre patrimoine, avec un budget conséquent, qui s'appuie sur des circonscriptions régionales, autonomes, sur le plan administratif et de gestion. La situation dépasse assurément et largement les moyens de l'actuel Institut national du patrimoine aux horizons limités et qui ne peut, en l'état, être tourné vers l'avenir. Monsieur le Premier ministre, sauvons notre patrimoine et donnons-lui sa (ses) dimension(s) réelle(s), redonnons-lui ses lettres de noblesse, pensons à ses importantes retombées culturelles, socio-économiques et touristiques sur le pays, et au développement régional qu'il peut générer, en élevant son administration et son statut à celui d'un secrétariat d'Etat du patrimoine archéologique et des biens culturels, au sein du ministère de la Culture. Mais tout autre solution de nature à démultiplier et à renforcer substantiellement les moyens humains et financiers propres au patrimoine et à décentraliser sa gestion, afin de rendre l'action plus efficace, ne peut être que la bienvenue. J'ajoute, pour finir, qu'en faisant état de cette réflexion, j'ai aussi, en tête, naturellement, l'Agence de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle (Amvppc), dont les activités sont censées compléter celles de l'INP, mais parfois, on assiste à des chevauchements, voire des doublons, ce qui alourdit encore la gestion du patrimoine et la complexifie. Mais là est une autre histoire.