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Retour sur une occupation pas comme les autres
Opinions - L'affaire de la faculté des Lettres de La Manouba
Publié dans La Presse de Tunisie le 12 - 01 - 2012


Par Jamil SAYAH*
Ce qu'il est désormais convenu d'appeler l'affaire de la faculté de La Manouba n'est point un sit-in ordinaire. C'est un galop d'essai pour tester la capacité de résistance de notre société à défendre ses acquis. Dans cette affaire, la volonté des salafistes est manifeste, avouée, éclatante, dans tous leurs actes comme dans toutes leurs déclarations. Le culte de la force et de la violence est leur devise. Et le degré même de la minutie de la préparation agressive de cette occupation le prouve surabondamment. Il faut avoir la mémoire bien courte et l'adaptation à la défaite bien prompte pour oublier que ces personnes qui ont occupé un établissement public d'enseignement supérieur n'ont point hésité à agresser physiquement un cinéaste, violenter une autre (cinéaste) et faire en toute impunité œuvre de police de la vertu. Ce sont également les mêmes qui veulent, sans crier gare, «talibaniser» notre pays.
Pièce par pièce, ils cherchent à démolir toute l'œuvre de notre République qui avait cimenté tant de sang répandu. Laisser encore écraser un lieu de savoir serait non seulement manquer à une dette d'honneur, mais perdre décidément toute notre crédibilité de Tunisiens libres. En fait, nous nous trouvons en face d'une tentative d'hégémonie rétrograde, à une reprise du rêve d'un Islam totalisant. Les salafistes ne reconnaissent ni négociation ni médiation. Ils sont adeptes de la force. Ils profitent d'un affaissement intime de l'énergie nationale, en contraste avec l'endurance et la ténacité dont notre peuple a fait preuve pendant la Révolution, pour lui imposer un modèle de société qui n'est pas le sien. Et le silence de nos dirigeants (issus de la Troïka) à l'égard de cette « colonisation » (d'un espace public protégé) en témoigne plus encore. On dirait un échafaudage en apparence intact, mais dont le bois est intimement pourri et qui s'écroulera tout entier, au premier choc. Ces conséquences, qu'on se refuse encore à regarder en face, sont incalculables. Elles pourront marquer la fin d'une spécificité tunisienne, qu'on a pu, malheureusement, croire un moment définitive.
Mais au premier abord, le plus déconcertant dans cette affaire, c'est le retournement furieux, non contre ceux qui occupent illégalement un établissement d'enseignement public, privant ainsi des milliers d'étudiants d'accéder au savoir, mais contre l'établissement-victime. Du jour au lendemain, il fut entendu que la faculté de La Manouba était responsable de ses propres malheurs, qu'elle est la seule coupable de ce qui lui est arrivé et qu'il lui faut, au plus grand profit de ses agresseurs, répéter inlassablement son mea culpa, et renier toutes ses valeurs, son idéal et sa mission séculaire. Aussi, a-t-on voulu la pousser petit à petit à abdiquer et à se rapprocher des ces fondamentalistes et travailler loyalement avec eux, afin de trouver un terrain d'entente. Et tous les actes (ou plutôt les non-actes) de ce gouvernement et de ses chefs, sinon de tous ses agents, semblent prouver, hélas l'opportunité de cette option. Une telle position constitue la plus brusque, la plus complète, ne faut-il pas dire aussi la plus déshonorante, capitulation morale post-révolutionnaire. Elle aurait entraîné l'écroulement et pour longtemps des valeurs de notre Université.
Toutefois, au-delà des faits observables, que cache l'occupation agressive de la faculté de La Manouba ? Quels sont ses enjeux ? Et que veulent réellement ceux qui ont mené ce sit-in ? Ces questions sont lourdes et les réponses passionnées qu'elles susciteraient reposent dans notre pays sur des positions rendant le débat houleux. Car elles touchent un postulat qui semble lourd de conséquences depuis la Révolution: l'avenir de notre modèle de société. C'est donc bien de ce point de vue politique pur que doit être envisagée avant tout l'analyse de la situation présente. Occuper un établissement universitaire n'est point acte anodin. Ce geste constitue une option politique à travers laquelle ses instigateurs ont voulu exprimer une conception idéologique. Cette idéologie semble relever pour l'essentiel d'une double revanche : une revanche sur la modernité, d'une part, et une revanche sur les femmes d'autre part.
1) Le salafisme ou l'antimodernité en action
Le salafisme (aussi bien comme mode de vie que comme pratique religieuse) ne prend tout son sens qu'enchaîné au rejet de la modernité et à ses conséquences sur la matrice démocratique. Il met en cause, en effet, la réponse séculière de la séparation entre le temporel et le spirituel qui cherche à garantir notamment deux principes fondamentaux que sont la liberté et l'égalité. D'une part, la liberté, indissociable de la séparation du public et du privé, est supposée réserver l'espace intime aux expressions particulières. L'espace public, identifié à la Raison, protège le politique de toute immixtion du religieux. D'autre part, l'égalité, quels que soient ses liens avec la problématique de la liberté démocratique, vise à garantir à chaque individu un traitement sans différentiation.
Cela conduit à s'interroger sur le modus operandi du salafisme. L'imaginaire lié au salafisme opère à base d'enfermement sectaire. Il rejette l'Islam traditionnel tunisien. Cette religiosité ritualiste et apolitique ne leur donne point de satisfaction. Car cet Islam nourrit un repli sur le privé au nom de la foi et, surtout, au nom de la prise en charge de soi, le pratiquant ne peut imposer les lois islamiques aux autres : bien au contraire, il doit trouver un compromis avec eux pour pouvoir pratiquer sa foi en toute quiétude. Or, l'un des présupposés de base du salafisme est que l'espace public, lieu du politique sécularisé par excellence, doit être saturé par le particularisme religieux. Cette vision définit comme politique tout ce qui a essentiellement trait au religieux. La religion se voit accorder le rôle clé dans la structuration de l'identité publique des sujets. Ils doivent tous être membres de la communauté des croyants. Et tout ce qui contredit les présupposés de cette représentation est discrédité comme étant une occultation de l'Islam.
Cette religiosité totalisante accorde aux esprits qu'elle imprègne la capacité illimitée d'envahir tout ce qui relève du champ public, à transformer le moindre geste public même insignifiant en un acte doté d'un sens religieux d'une importance centrale. La modernité est constituée en adversaire, la démocratie est montrée du doigt, le vote est emphatiquement stigmatisé au risque de discréditer le champ politique institutionnel dans son ensemble. Résultat, cette idéologie opérant de manière binaire (le bien et le mal ou le bon et le mauvais) aboutit forcément à l'exclusion d'une conception moderne de la citoyenneté. L'affaire de La Manouba montre clairement la spécificité de ce type d'Islam. Les jeunes filles qui revendiquent le «voilement intégral» cherchent à imposer ce mode «d'être» comme une posture normale de féminité. Le niqab est, en l'occurrence, l'expression d'une soumission à une loi qui ne peut faire l'objet d'aucune discussion. Dès lors, son port étant la part centrale de leur identité (féminine), il ne doit nullement coller à la ligne de partage qui sépare l'espace public de l'espace privé. Partout, cet accoutrement doit être imposé. Point de concession. Ainsi, au nom d'une pratique religieuse totalisante, un processus de «talibanisation» de notre société s'est mis en marche. D'où l'obligation de vigilance citoyenne.
2) Le salafisme ou l'universel, sans les femmes
Pour le salafisme, la non-équivalence de deux sexes (et l'infériorité du sexe féminin qui en découle) est une hypothèse si évidente qu'elle serait incontournable. Cette idéologie pose, en effet, la différence des sexes comme la première des différences. Elle serait même le fondement structurel de la société. Ainsi, une femme ne peut être reconnue comme individu à part entière au même titre que les hommes. Sa domination, sous des formes très diverses, présenterait alors un caractère à peu près universel et indiscutable.
Dans leur représentation, la femme est seulement un corps. Un corps qu'il faut cacher et même refouler, car il constitue une source insupportable de tentation. Donc, le couvrir devient une obligation vitale afin de prévenir l'éveil du désir masculin. Un contrôle social et cognitif va alors s'instaurer. La burqa et le niqab serviront de moyen pour marquer visuellement la présence féminine dans l'espace public. Ils vont établir des frontières réelles et symboliques entre la femme et le monde extérieur. Prisonnière dans ces étoffes, cette femme-fantôme doit accepter son statut de aoura. Tout son « être » (son existence, son corps...) est frappé de stigmatisations et d'interdictions. Elle est considérée comme une « chose ». Une « chose » inférieure. Elle ne peut ni penser, ni agir ... par elle-même. Sous une tutelle globale, elle dépend de son père, de son mari et à défaut de son frère. Porteuse d'un risque sérieux de déshonneur et d'impureté (aussi bien pour la oumma islamique que pour la famille), la femme doit être continuellement surveillée. Et la meilleure des surveillances, c'est la rendre dépendante en lui inculquant l'idée de soumission. Il faut l'amener en effet, à s'imaginer libre et heureuse dans son infériorité. C'est dans ce sens que le salafisme s'apparente réellement à une secte aliénante.
On le voit donc, ce système révèle ainsi tour à tour la dangerosité de ses fins. Le fantasme réducteur de la femme sur lequel il s'articule, la vision délirante du corps féminin qu'il véhicule nous renvoient à un obscurantisme d'une extrême gravité. Les Tunisiennes ont cru que ce temps était révolu. Et qu'on ne peut avec les avancées que notre pays a connues sur ces questions revenir en arrière. Car elles se sont battues pour que leur existence ne soit point réduite à un corps « désiré ». Deux mots sont profondément chargés de sens : «Liberté» et «Egalité». Deux principes sur lesquels s'est basé tout le processus bourguibien de l'émancipation de la femme. Naïvement, nous avons pensé que le Code du statut personnel va mettre le modèle à l'abri de toute tentation réactionnaire. Foutaise. Malheureusement, rien ne semble plus menacer que cet acquis.
La Révolution semble marquer pour les Tunisiennes un recul certain. Elles paient collectivement la haine des intégristes de leur liberté acquise et de leur émancipation conquise. Malheureusement, ce pouvoir des femmes, beaucoup d'hommes tunisiens s'en méfient. Ils le regardent comme une des perversions majeures du régime bourguibien. Ils suivent ainsi inconsciemment les salafistes et autres fondamentalistes qui séparent les sexes et les sphères, assignant aux femmes la transmission des mœurs et aux hommes la confection des lois. Cette complicité passive doit être dénoncée et combattue. Il ne faut pas se tromper de combat. Si le rempart (le statut des femmes dans ce pays) cède, tel un tsunami, la vague va emporter tout le reste. Il n'y aura plus après (des droits fondamentaux) pour tout le monde. C'est pour cette raison que l'affaire de La Manouba est grandement importante et symbolique. Et les salafistes ne s'y sont point trompés en s'attaquant à un lieu où on confectionne l'intelligence et où on en dispense un savoir et non pas n'importe quel savoir, un savoir rationnel. Donc encore plus de vigilance.
Nous ne pouvons conclure ces lignes sans revenir à la déclaration malheureuse de l'actuel président de la République, qui a réduit le statut de la femme tunisienne à un modèle de différentiation d'accoutrement. Erreur historique. Et cette erreur est d'autant plus grave que depuis les élections, notre société est travaillée par une tension entre nature et culture. Et celles des femmes occupent une place spécifique. Elles ne sont ni une classe sociale, ni un groupe, ni une minorité mais une composante de l'humanité. C'est encore sur l'épouvante en face des revendications féminines qu'on fonde notre prétendue renaissance morale. On croit pouvoir faire plaisir aux fondamentalistes en traitant nos mères, nos sœurs, nos épouses et nos filles libres et modernes de safirate. Encore une erreur. Une nation qui ne respecte pas ses femmes est dépourvue de dignité. Ce sont ces safirate qui donnent sens à notre tunisianité. Ce sont encore elles qui ont sorti la femme tunisienne du harem moyen-oriental. Elles sont la dignité de notre Nation et la fierté de notre indépendance. Point.
(*)Professeur de droit public


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