Jamais la Constitution tunisienne n'a été objet de débats aussi intenses qu'après la chute de l'ancien régime. Ainsi, et malgré l'instauration d'une Assemblée constituante élue au suffrage universel, des projets de Constitution émanant de citoyens indépendants ou de penseurs libres fleurissent ici et là. Il faut dire que depuis le 14 janvier les plumes ne sont plus asservies et la parole est désormais libre et cela quitte à commettre quelques approximations au regard des canons du droit, cette science dont la terminologie raffinée et subtile doit être maniée, nous dit Cicéron, «avec prudence et calme». Mais peu importe, l'essentiel est là : la profusion de projets de Constitution issus de citoyens ordinaires ne peut être que salutaire ; désormais le Tunisien scrute, propose, exige et surtout rêve d'une vraie République qui défende la liberté, la dignité et la justice. «Liberté – dignité – justice» c'est la devise retenue par M. Mohamed Hichem Belkhoja dans son «Projet de Constitution pour une deuxième République tunisienne» paru récemment aux éditions MIP livre. Le projet est en soi architectonique. Composée de 261 articles, la proposition constitutionnelle de l'auteur se veut globale : outre les sections classiques qu'on retrouve dans la majorité des Constitutions du monde (les libertés individuelles, les libertés publiques, les relations entre les trois pouvoirs), des articles ont été consacrés à l'organisation de la justice, y compris constitutionnelle et fiscale, au barreau, à la presse et à l'information, à la sécurité sociale, à la culture, au service religieux, aux partis, aux associations, aux finances etc. On retrouve même des articles qui abordent des domaines encore plus spécifiques d'habitude étrangers au droit constitutionnel, comme ceux relatifs aux cours particuliers donnés aux élèves, à la protection du consommateur ou encore les prérogatives de l'Institut national de météorologie… Quant au régime proposé, l'auteur semble pencher pour le régime présidentiel tout en s'attachant à fixer les contours de la fonction présidentielle dans l'article 23, article qui fait pourtant partie d'un chapitre premier consacré aux dispositions de principe. Il est à noter que les conditions émises par l'auteur pour se présenter au poste de président de la République tunisienne révèlent une volonté à peine dissimulée d'éviter à la Tunisie un nouveau «Ben Ali». En effet, parmi les conditions exigées, l'auteur annonce la nécessité d'être titulaire d'un doctorat, d'avoir été préalablement élu à la Chambre des Députés et d'y avoir passé la totalité de son mandat électoral et de n'avoir jamais appartenu au corps du ministère de l'Intérieur ou du ministère de la Défense. Notons aussi que M. M. H. Belkhodja s'est attaché à reproduire le préambule de la Constitution de 1959 en ajoutant une disposition qui rend compte de la nécessité d'une seconde République. Cela montre aussi que la logique de l'auteur s'inscrit dans la continuité et dans la préservation de certains acquis du passé. D'ailleurs, son projet élève le code de Statut personnel à un rang constitutionnel. Au final, nous sommes en présence d'une «Somme constitutionnelle» dans laquelle l'auteur a essayé d'aborder tous les domaines possibles et imaginables qui sont en rapport avec la chose publique; parfois, autant l'avouer, avec quelques excès. Car la Constitution, ce sommet du droit, se doit d'être abordée avec l'efficience nécessaire, à savoir un langage circonspect structuré dans une architecture claire mettant en relief les grands desseins sans tomber dans des détails dispensables qui restent du domaine de la loi et autres textes d'application. C'est la condition essentielle pour la pérennité de tout texte constitutionnel qui se veut, par définition, fondamental et durable. Cependant, la proposition est incontestablement louable voire courageuse, surtout de la part d'un non-spécialiste qui aborde le sommet du droit avec passion. Car il est clair qu'aujourd'hui, dans la Tunisie post-révolutionnaire, l'élaboration de notre nouvelle Constitution est l'affaire de tout un chacun.