Par Moncef KAMOUN * •«Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement» C'est ce que stipule le premier paragraphe de l'article 25 de la Déclaration des droits de l'Homme de 1948. Le logement est alors un droit fondamental et une condition première de la dignité humaine. U programme visant à construire 150 mille logements qui seront destinés aux familles défavorisées et dans un délai de 3 ans, une première tranche de 40 millions de dinars sera consacrée à ce programme. C'est ce qu'a annoncé Mme Chahida Ben Fraj Bouraoui, secrétaire d'état à l'Habitat. Un programme aussi ambitieux risque de ne pas atteindre ses objectifs si on n'évite pas les erreurs du passé et on construit des logements standardisés interchangeables sans aucun rapport avec une spécificité propre car ainsi les habitants continuent à être mal logés malgré le confort apparent des logements qu'ils occupent. Il serait absurde d'entreprendre sous quelque prétexte que ce soit la mise en chantier de logement sans chercher auparavant à étudier les conditions de la société, les besoins de la population et l'adaptation de l'habitat aux modes de vie. En effet, dans les années 70 et 80 on a entrepris la mise en chantier de milliers de logements ruraux. C'était bien sûr une politique honorable dans sa motivation mais tout à fait contestable dans son aboutissement. Alors, sous prétexte qu'on est pressé par le temps on a construit le médiocre, les mêmes modèles étaient implantés à Jendouba, à Douz, à Menzel Temime et à Kasserine. Pour construire un habitat social durable, il faudrait bien tenir compte de ces trois facteurs, à savoir : - Le mode de vie et d'activités des usagers - Le matériau et le système constructif le plus adapté - Le site et le climat spécifique de la zone d'intervention D'abord, le mode de vie et d'activité Le logement a toujours été considéré plus qu'un abri pour l'homme rural, il est le support de toutes ses pratiques quotidiennes, son cadre de vie familiale et son lieu de travail. La maison rurale est le meilleur outil du paysan. Se loger plus ou moins confortablement n'est certainement pas la seule préoccupation de l'homme de la terre, ce n'est que la fonction passive de la maison qu'il construit, son but actif est la création de l'environnement le mieux adapté à son mode de vie. Il a toujours prévu des espaces intérieurs et extérieurs pour stocker ses récoltes, abriter ses animaux ou protéger ses outils. Changer l'habitat rural ou même le transformer devrait obligatoirement découler d'une véritable analyse des besoins, des habitudes et du mode de vie de ses futurs habitants. Il est temps de comprendre qu'on ne pourrait jamais changer l'ensemble des choses résultant des besoins et des habitudes par une simple décision. A notre avis, si la construction en milieu rural ne prend pas en compte la vie rurale sous tous ses aspects, n'admet pas les liens complexes qui unissent l'environnement géographique et le contexte social, il faudrait alors, avant de mettre en application un tel programme, bien définir l'ensemble des besoins afin de concevoir des espaces vécus nouveaux mieux adaptés aux besoins exprimés ou non de ses utilisateurs. Ensuite, les matériaux et la technique de construction Le choix des matériaux et du système de construction devrait répondre à deux conditions à savoir : - Un faible coût de revient - Une technique simple de mise en œuvre Cela sans bien sûr perdre de vue la qualité technique du logement Si on veut atteindre des coûts de construction faible il n'y a pas de miracle. Il faut utiliser des matériaux peu coûteux et des techniques de mise en œuvre simples et pourquoi ne pas mobiliser les habitants eux-même de façon à ce qu'ils participent à la construction afin d'agir sur le coût de la main-d'œuvre. L'emploi des matériaux locaux selon des techniques simples plutôt que des produits industrialisés répond à plusieurs avantages : - Ils sont pour la plupart disponibles à volonté dans les environs immédiats de la construction. - Leur extraction, leur fabrication et leur mise en œuvre sont par excellence réalisables par une main-d'œuvre peu qualifiée et abondante . Certains matériaux locaux ont des qualités parfois supérieures aux matériaux industrialisés. D'autre part, une maison construite avec des matériaux traditionnels peut être facilement agrandie au fur et mesure que les revenus de l'occupant augmentent et une telle maison permet une plus grande diversité de construction, ce qui crée un environnement social, culturel et psychologique meilleur. Enfin, le climat La conception du logement a été toujours conditionnée en plus des impératifs sociaux et techniques, par le milieu physique dans lequel il a été créé, c'est-à-dire le site, le climat, la nature du sol, l'ensoleillement, etc. Le logement ,particulièrement dans les zones rurales, s'intègre au site grâce à son enveloppe qui dispose d'un certain nombre de qualité lui permettant de créer une ambiance confortable à l'intérieur du milieu habitable. Travaillant dans une économie de pénurie, les premiers bâtisseurs dans les zones rurales n'avaient que leur imagination pour assurer le confort. Ils ont adopté alors pour leurs constructions des sites, des formes, des volumes et des orientations judicieusement choisis, ce qui avait donné autant de types d'habitation que de régions climatiques. La Tunisie, qui a toujours mis en valeur sa première ressource, la matière grise, devrait aujourd'hui en tirer profit pour organiser avec énergie les innovations qui nous permettront de relever avec une force renouvelée les défis du futur. Les organes de recherche en matière de construction et d'habitat existent depuis plusieurs années encore faut-il en tirer les conséquences pour l'organisation et le développement de cette discipline Pour bien réussir une telle action humanitaire, on doit absolument prendre en compte toutes nos erreurs du passé et surtout trouver la bonne démarche d'organisation de l'opération qui fait participer les jeunes et surtout éviter la machine classique de l'Etat en matière de construction. *(Architecte, ancien enseignant à l'Ecole d'architecture, ancien membre du Conseil supérieur de la recherche scientifique)