Par Foued ALLANI Ce que certains ressentent comme un vrai soulagement n'est en fait qu'un pas en arrière ou encore un retour à la case départ après la floraison d'inquiétants scénarios. Ùne perspective (le retour) qui, à notre humble avis, risque de perpétuer cette aberration majeure, doublée d'une ambiguïté déroutante et même d'un flagrant anchronisme qu'est l'article 1er de la Constitution de 1959, et les reproduire dans le texte du futur projet de la Constitution post-révolutionnaire. Un retour considéré par bon nombre de nos concitoyens comme une victoire par rapport à ce qui aurait pu être proposé suite à la tendance qui continue encore de pousser vers les labyrinthes de concepts, pour elle clairs, mais qu'en fait elle a du mal à comprendre tels que celui de charia. Certains, en effet, analysent ce concept selon la grammaire propagandiste occidentale regorgeant d'islamophobie, alors que d'autres le conjuguent au passé complexe, compliqué et complexé des salafistes. (Voir notre article : «La charia ou la guerre des mots», La Presse du 21 mars 2012). Etant composée dans son écrasante majorité de règles morales universelles, puis d'une infime partie juridique sujette aux modifications selon l'évolution de la société humaine, la charia a été toujours une source d'inspiration pour le législateur tunisien qui a su la faire évoluer en respectant son essence, d'où l'inutilité de sa mention dans la future Constitution qui doit rester un texte fondateur synthétisant les règles générales qui doivent régir désormais notre société «La Tunsie est un Etats libre, indépendant et souverain : sa religion est l'Islam, sa langue l'arabe et son régime la république». Voilà ce que stipule ce fameux article présenté comme étant une bouée de sauvetage, alors qu'il aurait dû être entièrement refondu en fonction de l'évolution qu'a connue notre pays et afin de le débarrasser de ses aberrations. Il est clair, en effet, que les constituants élus le 25 mars 1956 et qui ont été à l'origine de cet article avaient subi l'effet de plusieurs contraintes conjoncturelles (comme le sont aujourd'hui nos actuels constituants) et n'avaient pas été, ainsi, assez clairs dans leur formulation, d'où des aberrations comme dénoncées plus haut et comme nous nous proposons de faire remarquer ci-après. Primo : on ne légifère pas sur des faits qui sont à l'origine du texte lui-même. La Constitution aurait-elle pu voir le jour si la Tunisie n'était pas dotée d'un Etat libre, indépendant et souverain ? Peut-on aussi parler d'un Etat libre sans qu'il ne soit indépendant et souverain et vice-versa. Bien sûr que non. Il y avait donc des facteurs conjoncturels qui avaient poussé les concepteurs du texte à faire preuve de toute cette redondance afin sans doute d'appuyer cette liberté, cette indépendance et cette souveraineté. Au lieu de se limiter au déclaratif, de défoncer des portes ouvertes ou de reproduire des lapalissades, l'article aurait gagné à jouer un rôle normatif et contraignant et stipuler, par exemple, que «chaque citoyen simple ou représentant une quelconque institution ou organisme est tenu dans ses dires et dans ses actes de ne ménager aucun effort pour participer à la préservation de l'indépendance du pays, de son intégrité et de sa dignité ainsi que son régime républicain et s'abstenir de tout acte ou parole qui menaceraient ces acquis». Enoncé qui servira ainsi de socle à plusieurs dispositions qui pourraient figurer dans le code pénal par exemple. Secundo : la plupart de nos concitoyens ont tendance à rattacher la description de la religion, de la langue et du régime à l'Etat et non à la Tunisie. Un choix erroné, mais aussi très grave. N'étant pas une personne physique, l'Etat ne peut prétendre être l'adepte d'aucune religion, car il est une institution chargée d'incarner la souveraineté du peuple, de réaliser ses aspirations et de défendre ses droits. Sinon il sera classé (l'Etat) dans la catégorie des Etats théocratiques. Ce qui n'est heureusement pas le cas chez nous. L'intitulé de l'article reste cependant ambigu puisque c'est l'Etat qui doit adopter un régime et non le pays, ce qui implique, dans notre cas, que cet Etat possède une religion. Or et comme déjà dit, l'Etat est obligé de garantir la liberté de conviction de chaque citoyen et de veiller à ce que chaque citoyen respecte les convictions des autres, tant que ces convictions ne remettent pas en question les principes fondamentaux inclus dans la Constitution. Cette aberration, nous allons la retrouver dans les articles 38 et 40 de la Constitution de 1959 qui stipulent chacun que le président de la République doit être musulman. Comment alors le prouver ? Grâce à une attestation, des témoins, la profession de foi ? Quel est alors le sort des Tunisiens qui ne sont pas musulmans ou ceux qui décident de leur propre gré de ne plus être musulmans ? Doit-on les punir puisqu'ils sont ainsi de fait contre l'Etat et les considérer selon l'article, hors la loi ? A la différence de pays comme l'Egypte qui mentionnent la religion sur la carte d'identité nationale, la Tunisie — Dieu merci — a toujours su préserver le caractère civil de son Etat et doit continuer à le faire. Tertio : en réduisant la Tunisie à un Etat, l'article en question a occulté le fait que notre pays est plus qu'une institution, si importante soit-elle. La Tunisie est un pays qui a acquis sa personnalité propre au fil de l'histoire pour se hisser, grâce à ses spécificités, au rang de grande nation qui a participé à plusieurs périodes de l'histoire à l'évolution de l'humanité. Etant un pays, la Tunisie ne peut pas avoir une religion. Et dire par exemple que la religion du peuple tunisien est l'Islam pour corriger le texte de l'article est elle aussi une aberration car notre peuple comprend également des citoyens adeptes d'autres religions. La future Constitution pourrait alors mentionner dans son préambule par exemple qu'étant donné que le peuple tunisien est majoritairement musulman, le législateur est appelé à tenir compte de cette réalité dans l'exercice de son pouvoir. Pour conclure, disons que la religion, qui doit rester une conviction personnelle, même si elle est largement partagée par une société donnée, ne doit pas être décrétée, même par un texte aussi fondamental que la Constitution. C'est le peuple qui en impose au texte et non le contraire. Et c'est cela la souveraineté.