• Le ministère accuse l'AMT de «désinformation» La très sérieuse AMT, Association des magistrats tunisiens, s'inquiète des lenteurs et des «atermoiements» concernant la mise en place d'une justice indépendante, au point d'entamer depuis avant-hier une semaine de protestation, par port du brassard rouge. Cette association, l'AMT, représente un des porte-drapeaux de la contestation au temps de Ben Ali, elle s'était insurgée contre les dépassements perpétrés à l'encontre des magistrats et avait essayé dans les conditions que nous connaissons de défendre l'impartialité de la justice. De nos jours, l'AMT entend préserver sa mission, et le port du brassard rouge par les magistrats tunisiens s'insère dans cette ligne de contestation. Une action forte et pacifique, voulue comme un signal fort envoyé au ministère de tutelle mais également au gouvernement et à l'ANC après des revendications auxquelles on a opposé jusqu'ici une fin de non-recevoir. Dans son dernier communiqué publié, l'AMT parle «d'atermoiements dans la promulgation d'une loi portant création d'une instance provisoire indépendante de la magistrature». Elle évoque «une tendance à maintenir le statu quo dans le secteur judiciaire et à faire fi des objectifs de la révolution». En un mot, elle accuse la Troïka de ne pas vouloir d'une justice indépendante. «L'assainissement du secteur a bien commencé» «Nous sommes pour la liberté d'expression», tranche M. Fadhel Essaïhi, approché par notre journal pour donner l'avis du ministère de la Justice sur le port du brassard rouge. Chacun choisit la forme de contestation qui lui sied, poursuit-il, mais je regrette que l'on fasse croire que le ministère agit sous la pression alors que nous avons entrepris des actions qui vont dans le sens des revendications voulues par les magistrats. Tout juste hier, le ministre s'est réuni avec les membres du syndicat et les choses sont en train d'avancer dans le bon sens, faire croire que le ministère agit sous la pression alors que ce sont des actions déjà prévues relève de la désinformation. «Mais réformer l'institution de la justice n'est pas chose aisée, explique l'attaché au cabinet du ministre de la Justice. Pour que les réformes soient solides et profondes, il faut construire une stratégie à partir des outils scientifiques et impliquer l'ensemble des parties prenantes dans un esprit collégial et participatif. Le corps de la magistrature mais encore les avocats, les greffiers, le personnel pénitentiaire, et la liste est longue. Si un seul maillon est laissé à la traîne, c'est l'ensemble du système qui en pâtira». «Notre vision est stratégique et globale et nous travaillons d'un commun accord avec les experts internationaux et locaux, et des ONG de tous bords, le Pnud nous épaule pour lancer une consultation nationale sur la réforme de la justice. Il faut que la réforme se fasse selon les attentes de tous, en harmonie avec nos besoins et les aspirations du peuple tunisien, et selon les normes internationales». Mais cela ne risque pas de ralentir davantage la réforme du secteur ? M. Essaïhi répond qu'au final, il ne s'agit pas de faire des textes, que la Tunisie est dotée des lois évoluées et des plus justes, mais qu'on ne peut pas dire la même chose quant à leur application. M. Essaïhi précise que quoi qu'on en dise, l'assainissement du secteur a bien commencé : «En plus du travail en aval qui se fait, des nominations ont été faites au sein du ministère et dans les institutions juridiques. Les réformes se feront avec l'apport des magistrats, conclut-il, avec qui nous travaillons, il y a cependant une minorité inquiète que nous tenons à rassurer». «Le conseil d'administration du Syndicat des magistrats tunisiens ne nous représente pas» L'Association des magistrats tunisiens par la voix de sa présidente, Mme Khalthoum Kannou, précise qu'en plus du port du brassard rouge, il a été décidé d'organiser un sit-in à l'intérieur de l'ANC, le 27 avril, pour alerter l'opinion publique sur la situation de la magistrature. L'action se soustrait à toute allégeance politique partisane, assure-t-elle : «Nous ne nous plaçons sous l'étendard d'aucun parti politique». Des actions de contestation qui expriment la déception des magistrats et leur profonde inquiétude quant au retard de la création de l'instance provisoire de la magistrature. Une institution qui sera en charge de superviser tout ce qui concerne le corps de la magistrature, le mouvement des magistrats, les nominations, les conditions de travail, la situation financière des magistrats. «Oui mais hier, M. Nourredine Bhiri, ministre de la Justice, s'est réuni avec le conseil d'administration du Syndicat des magistrats tunisiens, et l'ensemble de ces aspects ont été traités, des issues semblent avoir été trouvées», réplique la presse. Et la magistrate de répondre que le syndicalisme n'existe pas dans le corps de la magistrature. Nous obéissons à la Charte internationale des magistrats des Nations unies qui stipule que les magistrats représentent une autorité indépendante et ne doit pas être placée sous le régime d'employeur et employé. L'AMT est le seul porte-parole de notre corps, et seul organisme habilité à parler en notre nom, déclare la juge. Nous constatons, enchaîne Mme Kannou, que l'année judiciaire touche à sa fin, au mois de juillet prochain, et que le mouvement des magistrats pour ne prendre que cet exemple, obéit encore au pouvoir exécutif. Alors que l'instance indépendante provisoire de la magistrature qui aurait dû être créée aurait dû avoir son mot à dire. La présidente de l'AMT précise à cet effet qu'à ce jour, le pouvoir juridique n'est pas indépendant, les magistrats ont été consultés à titre protocolaire pour la nomination de quelques postes, mais il se trouve que tout en étant maintenues à leur poste, ces personnes ont été écartées dans la pratique. Le ministre travaille seul et nomme aux postes judiciaires importants selon des critères qui sont loin d'être objectifs. Or il a été convenu de créer une commission qui sera en charge des nominations. «Le ministère a failli à ses engagements», accuse-t-elle. La crise entre les magistrats et le ministère de la Justice est bel et bien installée, pourtant des signes très rassurants ont été envoyés par l'autorité de tutelle, seront-ils en mesure de désamorcer la crise ? Nous l'apprendrons dans les prochains jours.