La publication en date du jeudi 3 mai 2011, Journée internationale de la liberté de la presse, de la circulaire d'application du décret-loi du 26 mai 2011 relatif à l'accès aux documents administratifs publics, connu sous l'appellation «Open Data», constitue-t-elle un signal que le gouvernement a voulu envoyer aux professionnels du métier sur sa volonté de faciliter davantage l'accès à des informations considérées jusqu'ici comme confidentielles ? La question est d'autant plus d'actualité que la publication de la circulaire en question intervient quelques jours à peine après l'échec de la consultation nationale sur la réforme de l'information organisée par le ministère de la Justice qui a été boycottée par le Syndicat des journalistes et l'Instance nationale de réforme de l'information et de la communication (Inric), ce qui a poussé le chef du gouvernement, M. Hamadi Jebali, à annoncer, du haut de la tribune de l'Assemblée nationale constituante, que la consultation «se poursuivra et sera élargie à toutes les composantes du paysage médiatique national», dont en premier lieu les journalistes. Comment les parties prenantes impliquées dans tout ce qui a trait à la refonte du paysage médiatique national ont-elles réagi à l'entrée en application de cette circulaire? Comment saisissent-elles, plus particulièrement, l'article 18 de «l'Open Data» qui précise que l'administration n'a pas le droit de faire rétention «des documents dont la divulgation est nécessaire en vue d'exposer, d'enquêter et de poursuivre de graves violations des droits de l'Homme ou crimes de guerre» ? Aussi est-il légitime de se poser la question de savoir si les archives de la police politique seront ouvertes au public qui désire exercer son droit d'accès aux documents administratifs ou aux personnes concernées qui ont subi de graves violations et qui cherchent à accéder à leurs dossiers. Idem pour les affaires de corruption ou de mauvaise gestion dans le secteur public concerné également par l'article 18 du décret-loi qui stipule que les documents y afférents peuvent être remis à ceux qui les réclament parmi les citoyens ordinaires. La Presse a sondé les réactions de certaines personnalités actives au sein de la société civile et dans la sphère de l'information et de la communication. Les fichiers à la portée du public Mustapha Bellatayef, universitaire ayant participé à l'élaboration des décrets-lois 115 et 116 relatifs au Code de la presse et à la création de la Haute autorité de l'information et de la communication audiovisuelle (Haica), dont les textes d'application ne sont pas encore publiés par le gouvernement, souligne : «Je pense que le texte sur l'Open Data constitue une avancée très importante en matière de transparence administrative. A priori, sauf cas exceptionnels, limitativement énumérés, il ouvre des perspectives réelles pour que le citoyen accède aux données administratives, aux archives publiques et, notamment, les documents qui ont un lien avec le passé douloureux de notre pays en matière d'atteinte aux droits et libertés individuelles et en ce qui concerne la torture des militants des droits humains. J'espère que cette circulaire précisera davantage la portée des dérogations de manière à permettre l'accès le plus large possible. Si la circulaire est conforme à l'esprit général du texte sans limitation de sa portée, il est normal qu'elle va permettre aux citoyens de pouvoir consulter les fichiers, établis par les services de renseignement, les concernant personnellement. S'il n'y a pas de données personnelles à protéger, les fichiers peuvent être ouverts au public». Pour Me Chaouki Tebib, qui vient d'être confirmé par ses pairs dans son poste de bâtonnier de l'Ordre des avocats, «il n'y a aucun signal lancé par le gouvernement en choisissant la journée du 3 mai pour annoncer l'entrée en fonction du texte d'application de l'Open Data». Quant à l'accès aux archives de la police politique conformément aux dispositions de l'article 18 du décret-loi n°41 en date du 26 mai 2011, le bâtonnier est convaincu qu'il «n'y a rien qui empêche d'ouvrir ces archives au public dans la mesure où les informations qu'elles renferment sont des informations publiques et qu'il n'y a plus de secrets concernant la sécurité de l'Etat. Quant aux données relatives à la torture infligée aux militants des droits de l'Homme ou aux responsables de l'opposition, elles ne relèvent plus du privé dans la mesure où la torture et les violations des droits humains sont devenus un dossier public ouvert à la consultation de tous. Comme la loi est d'essence générale et publique, rien n'empêche le citoyen ordinaire de bénéficier de son droit d'être informé de ce qui s'est réellement passé durant les années de dictature». Puiser dans l'expérience allemande Pour Abdelkrim Hizaoui, directeur général du Centre africain de perfectionnement des journalistes et des communicateurs (Capjc), «le gouvernement et le ministère de l'Intérieur ne peuvent pas faire obstacle à la révélation des données concernées par le décret-loi n° 41. Je pense que tout citoyen tunisien peut demander à ce qu'on lui permette de prendre connaissance de son dossier. Quant aux dossiers d'autres personnes, ils ne peuvent être ouverts à quiconque du moment qu'ils comportent des données personnelles que la loi est censée protéger». Hizaoui évoque l'expérience allemande qui «a permis aux personnes victimes de torture ou de violation de leurs droits de consulter leurs dossiers. Et s'il y a des données dans ces mêmes dossiers concernant d'autres personnes, elles sont noircies de manière à ce qu'elles deviennent illisibles, l'objectif étant d'éviter de porter atteinte à la vie privée des personnes citées.» De son côté, Slaheddine Jourchi, coprésident de la Constituante civile et militant actif des droits de l'Homme, considère que «la circulaire relative à l'application du décret-loi n° 41 sur l'Open Data revêt une grande importance dans la mesure où elle vient répondre aux appels que ne cessent de lancer les journalistes et les hommes de loi pour la consécration du droit d'accès aux informations, y compris celles considérées comme confidentielles ou ayant un rapport avec la sécurité de l'Etat. Ainsi, tous les Tunisiens peuvent désormais se baser sur cette circulaire et sur le décret-loi n° 41 en date du 26 mai 2011 pour demander à prendre connaissance des archives de la police politique du moment qu'il n'y a plus aucun prétexte qui pourrait justifier le fait de priver le public d'accéder à leur contenu». «Ces archives ne constituent-elles pas poursuit encore notre interlocuteur, une partie intégrante du système dictatorial qui a été balayé par la révolution du 14 janvier 2011 ? Accéder à ces archives représente, précisément, l'une des conditions à même de réaliser la justice transitionnelle, laquelle justice a besoin d'être au fait des accusations qui ont été portées contre les citoyens et les opposants par la police politique, parfois à des desseins personnels et le plus souvent pour des raisons politiques». La publication, le 3 mai 2012, de la circulaire d'application de l'Open Data, relève-t-elle du hasard ou d'un choix délibéré de la part du gouvernement? Slaheddine Jourchi reconnaît qu'il n'a pas de réponse tranchante à cette question. «Toutefois, précise-t-il, le choix de cette date est un indicateur de la bonne volonté du gouvernement et sur sa disposition à coopérer avec les associations de la société civile en vue de rendre le droit d'accès aux documents administratifs publics, une réalité concrète». L'article qui obligera la DST à tout dire L'article 18 du décret-loi N°41 en date du 26 mai 2011, relatif à l'accès aux documents administratifs des organismes publics «Open Data», précise ce qui suit : «Les exceptions prévues à l'article 17 du présent décret ne s'appliquent pas : -Aux documents tombant dans le domaine public sous réserve de la législation en vigueur et notamment la loi relative aux archives. - Aux documents dont la divulgation est nécessaire en vue d'exposer, d'enquêter ou de poursuivre de graves violations des droits de l'Homme ou crimes de guerre. - Lorsque l'intérêt public général l'emporte sur l'intérêt protégé, en raison d'une menace grave pour la santé, la sécurité, l'environnement, du risque d'un acte criminel, de corruption ou de mauvaise gestion dans le secteur public.