Par Soufiane BEN FARHAT L'affaire du vrai-faux complot ourdi contre le gouvernement restera dans les annales. A maintes reprises, des personnalités gouvernementales et partisanes de premier plan de la Troïka ont parlé de ce prétendu complot. On en a dessiné les contours et même soufflé quelques «vrais-faux détails» dans un quotidien de la place. Des commentateurs et observateurs avertis de la vie politique sont montés au créneau. Ils ont promptement exigé que la lumière soit faite sur ce qui s'apparentait bien à une collusion avec des puissances étrangères et à une haute trahison. Et ils ont sommé le gouvernement de répondre à l'injonction. C'était d'autant plus évident que les membres du gouvernement s'abstenaient de donner de plus amples détails. Et maintenaient un certain flou artistique en guise de fiabilité de la chose non révélée. Des membres de l'opposition et des personnalités désignées au titre des comploteurs s'avisèrent de porter l'affaire devant les tribunaux. Et avant qu'on en arrive là, volte-face. Les responsables gouvernementaux affirmèrent qu'ils n'ont jamais parlé de complot! Et se mirent à soutenir cette thèse avec la même hargne qu'ils mirent à parler de complot. Cela en dit long sur un certain aspect du modus operandi gouvernemental. L'opinion est parfois sollicitée via les rumeurs, les allégations tendancieuses et l'instrumentalisation de la blogosphère ainsi que des milices numériques. Le pavé est jeté dans la mare. Et on attend que la mayonnaise prenne. Autrement, il est toujours possible de se rétracter. Au prix d'épouser des postures guère convaincantes auprès de l'opinion, celle-là même qu'on a sollicitée dans le sens opposé pas plus tard que la veille. Ce procédé est opérationnel dans bien des domaines. On l'a constaté notamment à l'occasion du projet de la loi de finances complémentaire. De toute façon, un ballon d'essai n'est jamais vain. Et puis, dans la blogosphère et les réseaux sociaux, c'est anonyme et cela ne coûte pratiquement rien. Juste quelques gribouillages et la lecture intelligente des réactions. Mais la traçabilité agit également en matière politique. Soutenir la chose et son contraire avec la même véhémence équivaut à tromper deux fois son monde. Intervient dès lors la dimension éthique immanente à la politique. Un islamiste en rupture de ban affirmait il y a peu que, dans la gestion du pouvoir, le mouvement Ennahdha a perdu jusqu'ici la bataille du point de vue de la morale. Bien qu'ayant dénoncé de tout temps le népotisme, le favoritisme et le clanisme familial, Ennahdha ne s'en est guère départie dès lors qu'elle passa aux commandes. En fait, le pouvoir est bel et bien une épreuve. Il a sa logique, ses automatismes et ses travers. Nul n'en est exempt au bout du compte. Aussi bien le loup rentré dans la bergerie que le braconnier mué en garde-champêtre. Seulement, l'establishment porté par la déferlante révolutionnaire ne doit guère piquer tête en avant dans la spirale corrosive du pouvoir. Déjà, l'on dit que le pouvoir corrompt. En rajouter s'avère souvent douloureux, voire contreproductif et pervers. Il reste qu'il est du devoir des citoyens de demander des comptes au pouvoir et à la Troïka sur l'accusation de complot et son reniement. Lancer des accusations dans l'air, des semaines durant, puis s'en raviser promptement peut paraître un simple exercice de style. Mais ses effets sont bien ravageurs auprès des larges franges de l'opinion.