nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet : personne ne peut transférer à autrui plus de droits qu'il n'en a lui-même Ce vieux principe de droit latin devenu depuis lors règle du droit naturel, insuffle aujourd'hui la sagesse nécessaire dans la fausse affaire de Baghdadi Mahmoudi, ancien Premier ministre du régime Kadhafi et complice de ses atrocités. Le personnage est l'objet de tiraillements politiciens cherchant à créer de son cas une affaire qui n'en est pas une. M. Mahmoudi a été arrêté sur le sol tunisien le 21/11/2011, en train d'essayer de traverser vers l'Algérie et depuis il est aux arrêts en Tunisie où il fait l'objet de deux demandes d'extradition émanant du nouveau pouvoir libyen. En Tunisie s'est déclarée ces jours-ci une polémique quant à son extradition en Libye qui cache en réalité une discorde larvée sur la partie compétente quant à l'exécution de son extradition entre la présidence de la République et la présidence du gouvernement sur fond de répartition des prérogatives des deux représentants de l'exécutif tunisien. Dans ce cadre, des éléments fondamentaux s'imposent à toutes les parties et sont les suivants : Au départ , les relations légales et juridiques de coopération et de l'extradition en matière pénale sont régies par les traités du droit international et par les traités bilatéraux d'extradition. En ce sens, la Tunisie et la Libye sont liées par un traité de coopération juridictionnelle de 1961 ainsi que par l'accord arabe de Riyad d'extradition de 1983, en plus le traité de 1961 a été renforcé en 2012 (le 18 mai 2012) par un accord d'activation de la coopération juridictionnelle entre les deux pays. M. Mahmoudi a épuisé tous ses recours devant la justice tunisienne les 8 et 25 novembre 2011 devant la Cour d'appel de Tunis (arrêts définitifs), puis le Tribunal administratif tunisien, dans son avis consultatif, a estimé que la signature du président de la République n'était guère nécessaire pour avaliser et exécuter l'extradition de M. Mahmoudi, donc le chef du gouvernement M. Jebali peut procéder sans entraves à l'extradition. Le rôle du président de la République M. Marzouki ne souffre pas d'ambiguïté dans ce cadre précis ; il ne peut accorder ce qu'il n'a pas, l'ancienne Constitution de 1959 étant suspendue et remplacée par la loi d'organisation provisoire des pouvoirs publics qui, dans ses articles 6 et 18, transfère et accorde au chef du gouvernement le pouvoir réglementaire général, fondement et essence du pouvoir exécutif au sein de l'Etat et par lequel le chef du gouvernement dispose du droit de direction, de contrôle et de sanction envers les services de l'Etat et dans ce cas précis de la bonne exécution des décisions de justice. La répartition des pouvoirs dans ce texte ne lègue nullement ce rôle au président de la République (article 11) mais au chef du gouvernement qui préside aussi le Conseil des ministres au sens de l'article 17 de la loi d'organisation temporaire des pouvoirs, ce qui renforce ses prérogatives et responsabilités conjointes de la bonne application des lois et décisions de justice ; toute la question est là. Refuser l'extradition serait une atteinte au bon fonctionnement des institutions dont le chef du gouvernement est responsable et le président de la République le gardien au sens de la petite Constitution. Il ne pourrait être complice de l'ancien régime libyen et ne pourrait commettre ce déni de droit, l'extradition relève de ses prérogatives exclusives, son exécution fait partie de ses responsabilités mêmes au-devant du droit international. La non-extradition de Mahmoudi décrédibiliserait totalement les justes demandes de la Tunisie d'extradition de l'ancien président déchu et de sa triste clique à l'étranger, celui qui ne veut accorder le droit ne peut prétendre en bénéficier. D'ailleurs, cette même période a vu le rappel du président de la République tunisienne à la Suisse quant à ses responsabilités dans la restitution des biens tunisiens spoliés par l'ex-dictateur. Il ne pourrait se contredire sur les mêmes prétentions de justice et de dédommagements faites par le peuple libyen, la responsabilité morale qui lui incombe dans cette pseudo-affaire ne justifie pas cet atermoiement. Les peuples tunisien et libyen sont animés, après leurs révolutions respectives, par la volonté de construire des relations fortes avec un avenir commun bâti sur des institutions fortes à l'instar de l'intégration européenne. Justement en Europe, cette forte intégration des peuples doublées de la volonté de construire un avenir commun a porté en matière de coopération juridique au mandat d'arrêt européen institué en 2002 dans le cadre du troisième pilier de l'Union européenne, mandat d'extradition qui s'applique dans le cadre de l'Union aussi contre les nationaux (ainsi, en novembre 2010, la Cour d'appel de Pau validait l'extradition d'Aurore Martin, une Française membre de Batasuna, parti légal en France mais illégal en Espagne, vers l'Espagne, suscitant de vives protestations contre le mandat d'arrêt européen, relayées par le Conseil régional d'Aquitaine).1 La relation que nos deux peuples ambitionnent ne saurait descendre en dessous de ce palier; la situation politique en Libye est un mauvais argument pour ceux qui veulent instrumentaliser l'affaire Mahmoudi, nos deux pays sont en phase transitionnelle avec une avancée pour la Tunisie, certes, mais le gouvernement libyen s'est engagé à faire bénéficier Mahmoudi des garanties d'un procès équitable. La peine qui sera prononcée contre lui sera conforme à la loi de son pays Les relations tuniso-libyennes traversent un moment critique, les deux pays se cherchent et cherchent à construire un fond commun issu de leur passé et de leur lutte contre deux dictatures des plus abominables que le monde ait connues Evitons à ces relations mises à mal par les manœuvres politiciennes en fausse période préélectorale précoce et par l'inertie des investissements communs de connaître un nouvel avatar avec le cas Mahmoudi car il s'agit bien d'un détail isolé qui ne saurait mettre à mal la sécurité de la Libye ou la stabilité politique de la Tunisie, avatar qui serait fatal à nos relations 2 devant la forte affluence et propositions diverses que connaît la Libye. Il ne s'agit pas de complaisance ou de crédits financiers, mais de l'avenir commun des deux peuples et de stratégies d'intégration maghrébine. Alors, de grâce, clôturons le cas Mahmoudi au plus vite et laissons les calculs électoraux à leur échéance qui aura exclusivement une portée nationale dans la relation tuniso-libyenne; fonds de l'Union maghrébine et point fonds de commerce de la discorde. ------------------------------------------- 1) En ce sens voir l'article http://fr.wikipedia.org/wiki/Mandat d'arr % C3%AAt europ % C3%A9en, en tant qu'élément didactique préliminaire quant au mandat d'arrêt européen. 2) En ce sens, le chef du gouvernement tunisien, dans une conférence de presse conjointe le 17/05/2012 avec son homologue libyen, a précisé que la Tunisie : « ne sera pas un refuge pour ceux qui menaceraient la sécurité de la Libye».