La semaine de vives tensions, que vient de traverser l'alliance tripartite au pouvoir, ouvre désormais toutes les hypothèses quant au devenir de cette Troïka qui se présente comme dépositaire de la stabilité politique et de la garantie de la réussite de la deuxième transition démocratique. La crise qui a suivi la remise de Baghdadi Mahmoudi aux autorités libyennes sans que soit reconnue la nécessité de passer par un aval écrit du président de la République sous la forme d'une décision républicaine — dans la mesure où la petite Constitution ne prévoit pas de décrets présidentiels — a pris de telles proportions que l'Assemblée nationale constituante est doublement appelée, dans les prochains jours, à arbitrer le litige entre les deux têtes de l'exécutif et à soumettre au vote la motion de censure introduite par une coalition d'opposition élargie à des mécontents de divers bords. Car l'information communiquée par le chef du gouvernement lors de son audition vendredi, quant au retrait du recours introduit par Marzouki, a été démentie par plus d'une source CPR, dont notamment Samir Ben Amor. Cette semaine de vives tensions au sommet de l'Etat a été clôturée par la démission spectaculaire de M. Mohamd Abbou, secrétaire général du parti de M. Marzouki de son poste au sein du gouvernement Jebali. Sachant que M. Abbou avait pris partie, dans un premier temps, pour M. Jebali dans le conflit l'opposant au chef de l'Etat, avant de se rétracter dès le lendemain en faveur d'une position plutôt favorable à la thèse du président de la République. Entre-temps, deux voyages presque concomitants de MM. Hamadi Jebali et Mustapha Ben Jaâfar en Europe laissent transparaître une volonté chez leurs protagonistes, d'afficher une démarcation dont la Tunisie aurait pu se passer s'agissant de solliciter l'appui des Européens. Bref, le climat n'est pas vraiment au beau fixe au sein de la Troïka surtout que l'attitude volontaire du président de la Constituante a amené de nouvelles dissidences aussi bien au sein du groupe parlementaire d'Ettakatol qu'au sein de celui du CPR. Ce qui a permis à l'opposition de réunir les 73 signatures nécessaires à l'introduction de la motion de censure contre le gouvernement. Le groupe CPR, en particulier, se rétrécit comme une peau de chagrin. Après le départ de douze de ses membres sous la houlette de Abderraouf Ayadi, voilà que trois autres constituants s'en retirent pour s'allier aux opposants. Intervenant sur ces entrefaites, la démission de Mohamed Abbou ressemble bien à une conséquence indirecte de la tension qui s'est installée au sein de la majorité, à un «effet domino» dont les évolutions ne sauraient être imaginées. Et même s'il est vrai que M. Abbou avait par deux fois menacé de démissionner et avait concrètement présenté sa démission au Premier ministre depuis le 24 mai, deux hypothèses se présentent à l'esprit quant à son passage à l'acte. S'il est clair que le nouveau n° 1 du CPR refuse de s'impliquer personnellement dans le litige intervenu et tient à garder toutes ses chances en tant que chef de file de l'un des partis de la coalition, il s'agit de savoir si M. Marzouki a avalisé cette décision ou pas. Si oui, cela prendrait l'allure d'un avertissement adressé à Ennahdha et préparerait à terme un départ de Mazouki lui-même. Si c'est non, s'impose alors l'hypothèse que M. Abbou roulerait désormais pour lui-même mais à la tête d'une composante importante de la Troïka au pouvoir, même si elle est actuellement affaiblie par les démissions intervenues. Sachant qu'il est aisé, dans cette éventualité, d'imaginer que le secrétaire général désormais à plein temps et débarrassé des contraintes du pouvoir, puisse remettre de l'ordre dans la maison CPR et pourquoi pas récupérer le clan Ayadi, du moins partiellement. Quoi qu'il en soit, et au moment où le CPR s'apprête à prendre une configuration préélectorale, le clivage entre les deux têtes de l'exécutif prend l'allure d'un conflit frontal dans lequel l'un est soutenu par son parti et l'autre apparaît de plus en plus esseulé, après cette quatrième personnalité de son entourage qui déclare forfait à quelques semaines d'intervalle. Le président de la République semble répéter régulièrement le même scénario. Il pousse, fait monter les enchères, élargit le champ de ses intérêts puis se dégonfle au vu des faibles prérogatives qui lui sont accordées et de son attachement au maintien de l'alliance. De son côté, Ennahdha se comporte en premier parti du pays, et le chef du gouvernement exerce la plénitude de ses pouvoirs régaliens que lui attribue sa légitimité. Lorsque le climat se détériore, le mouvement joue au pompier en éteignant les flammes, tente de sécuriser les uns et les autres, manifeste son attachement à l'alliance, valorise le rôle du président de la République... Il essaie de colmater les brèches mais celles-ci ressemblent bien à de véritables fractures. De sorte que cette unité de façade, relayée par des coups en dessous de la ceinture, ne peut vraiment plus perdurer. Dans une étape aussi importante et délicate que celle que vit aujourd'hui le pays, les trois partenaires se doivent d'accorder leurs violons à un diapason unique. Sinon signer un divorce à l'amiable et agir à la mise sur pied d'une nouvelle coalition majoritaire plus harmonieuse.