Au cours d'une conférence de presse organisée hier matin à Tunis, le président de l'Inric a annoncé la fin des activités de l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication. Toutefois, l'équipe dont s'est entouré Kamel Laâbidi pour travailler sur la restructuration du secteur des médias depuis mars 2011 ne compte pas se retirer de la scène médiatique. Elle continuera le combat de l'autre côté de la barrière, du côté de la société civile. La plupart des journalistes, universitaires et représentants d'ONG tunisiennes et étrangères présents hier matin à la conférence de presse de l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication ne s'attendaient pas à ce que Kamel Laâbidi, le président de l'Inric, annonce à la fin de son discours la décision de l'Instance de mettre fin à ses missions. Ce retrait de la scène médiatique d'une équipe qui a été chargée depuis mars 2011 de travailler sur un projet de restructuration d'un domaine sorti sinistré après 23 ans de dictature a tout de suite entraîné des réactions de déception et de désapprobation de la part de la salle. Mais Kamel Laâbidi avait auparavant longuement expliqué les motivations de ce choix. Outre le fait que la publication du rapport général de l'Inric à la fin du mois d'avril dernier signait la fin de ses activités et préparait le terrain à la création d'une autorité indépendante de régulation des médias audiovisuels (à laquelle revient entre autres la tâche de nommer les directeurs des radios et des télés publiques), le diagnostic de la situation actuelle de l'information présenté par M. Laâbidi n'offrait plus à la structure qu'il dirige de raisons valables pour continuer à exister. Des nominations contredisant le principe de l'indépendance « Nous refusons de servir de décor, de simple vitrine pour la parade », a insisté le journaliste, exilé sous le règne de Ben Ali. Il a remarqué que depuis la prise de pouvoir du nouveau gouvernement, aucune initiative sérieuse n'a été prise pour réformer l'univers de l'information, ni concrétiser le principe de l'indépendance des médias publics, ni activer les articles 115 et 116, laissant le secteur baigner dans un flou juridique autorisant tous les dérapages, tous les abus de pouvoir. « Les récentes nominations, intervenues le 2 juillet courant, à la tête des radios nationales et régionales, sans concertation préalable avec les organisations professionnelles et syndicales, marquent la persistance des méthodes en vigueur durant les dernières décennies. Le gouvernement avait pourtant reconnu son erreur le 7 janvier 2012 au moment où il avait désigné les directeurs et les rédacteurs en chef de quelques médias publics et l'inadéquation d'une telle posture avec un pays vivant une transition démocratique», a affirmé le président de l'Inric. M. Laâbidi a regretté, d'autre part, que le rapport final de l'instance et ses différentes recommandations, la somme d'une année et demie de travail, présenté aux trois présidents, ne suscite point de réactions de la part du gouvernement notamment. Tout comme la demande de l'Inric d'organiser un débat avec le chef du gouvernement en présence des journalistes, l'initiative est restée lettre morte depuis...deux mois. Dans le débat, qui a suivi la présentation des motifs de l'autodissolution de l'Inric, les journalistes sont revenus sur les agressions qu'ils vivent dans la rue, les menaces pesant sur leur liberté d'expression, le retour à la censure. Ainsi que les accusations de «comploter contre la stabilité du pays», qui continuent à les viser. « La politique de la chaise vide choisie par l'Inric ne sert pas les intérêts des journalistes », ont répliqué plusieurs intervenants. Réponse de Kamel Laâbidi : «Justement le mandat attribué à l'Inric ne nous permet pas de jouer le rôle d'un syndicat, ni de défendre les professionnels. Il nous autorise uniquement à présenter des propositions de législations et de réformes en accord avec les standards internationaux en matière de liberté d'expression et d'émettre un avis quant à l'attribution des licences pour la création de nouvelles chaînes de radio et de TV. Nous sentons que ces prérogatives, limitées et spécifiques, nous ligotent aujourd'hui. C'est pour cela que nous avons décidé de militer autrement pour la liberté d'expression et la réforme des médias en nous engageant dans la société civile, soit en travaillant dans une organisation comme la Ligue des droits de l'Homme par exemple ou en créant une nouvelle association ». Les membres de l'Inric, présents au grand complet à la conférence de presse, n'ont pas attendu la publication du décret-loi mettant fin à leurs activités pour disparaître. «C'est là un message fort que nous adressons au gouvernement», a ajouté celui qui a dirigé la première instance tunisienne indépendante de réforme de l'information et de la communication.