Par Fethi FRINI * Bachar El Assad, c'est l'homme aux nerfs d'acier, qui canonne son peuple, menant chez lui une terrible répression, sans répit aucun, voilà déjà plus d'une année. C'est l'homme qui continue de jouer au feu dans une région transformée depuis longtemps en poudrière, engageant , d'ores et déjà, un bras de fer avec les Occidentaux, et se mettant à dos une grande partie de la Communauté internationale. Qui se considère encore comme l'allié inconditionnel des Russes, des Iraniens et autres Chinois, allant jusqu'à tourner le dos aux frères Arabes en mettant en échec leur plan de règlement de la situation... Bachar El Assad est tout cela. Et bien plus — ou bien pire — encore, qui tarde encore à prendre la mesure des choses. A se décider pour de bon. Oui, mais quelle décision? Au profit de qui, surtout ? Bachar El Assad, il est vrai, est devenu le personnage-clé de la crise permanente du Proche-Orient. Eclipsant pour un temps encore Héniya, Machâal ou Cheikh Nasrallah, tous aussi dérangeants les uns que les autres. Attisant, pour ainsi dire, les hostilités syro-syriennes, au risque de mettre le feu aux poudres tout autour de lui et bien au-delà. Demeurant, pour un temps encore, une énigme indéchiffrable, en face de qui tout observateur demeure perplexe. On se pose en effet trop de questions à propos de la personnalité du Rais, sans trouver aucune explication convaincante, car il cultive habilement le secret, aussi bien sur ses profondes intentions belliqueuses que sur ses aspirations à la paix. «Oui, mais que veut donc Bachar El Assad ?» Un sourire fort enjôleur A l'instar d'ailleurs de feu Hafedh El Assad, son défunt père, qui a régné en maître sur l'indomptable Syrie depuis 1970, Bachar El Assad,en digne héritier, régne et gouverne à la fois. Il n'en a jamais cure, d'ailleurs. Car, en toute légitimité constitutionnelle, cela s'entend, notre homme ne manque jamais l'occasion de défrayer la chronique politique, arborant un sourire fort enjôleur à travers de petits yeux pétillants d'intelligence et de fermeté à la fois. En somme, le portrait tout craché de son illustre paternel. Autoritaire, Bachar El Assad l'est certainement. Implacable aussi. Car, exécutant ses desseins avec patience et obstination, flanqué pourtant d'un caractère timide, sinon réservé, ce sacré président syrien n'a jamais manqué l'occasion, lors des cérémonies d'ouverture des Sommets des Etats arabes, de lancer, du haut de ses 1.90m, à l'endroit de ses pairs, des vérités toutes crues, toujours bonnes à entendre pour nos oreilles longtemps habituées à la langue de bois. C'est que le Raïs, toujours courtois, n'élevant jamais la voix, pourrait bien passer pour terne s'il n'affichait pas son sourire, disions-nous, fort enjôleur. Il a, par ailleurs, un sens aigu de sa dignité, un tantinet imbu de sa personne et tout ce qui s'y rapporte. Pesant toujours ses mots à chacune de ses rares mais décisives interventions, il ne se précipite jamais, ne s'émeut guère et ne s'emporte pas davantage. Il préfère parvenir en douceur à ses fins, quitte à recourir aux moyens forts, usant de persuasion avant de recourir à la dissuasion. C'est ainsi que ses alliances et ses positions sont chose sacrée. Toute faute ou toute erreur, tout dépassement en Syrie, sont à la limite excusables, hors l'injure au président : elle seule est un péché mortel, encore impardonnable et toujours condamnable. La ligne rouge Sachant attendre les occasions propices, renforçant ses atouts et laissant s'enferrer ses adversaires, notre homme choisit admirablement le moment. Car il voit, en position de faiblesse, dans toute négociation, une inacceptable tentative d'extorsion. Mais, devenu fort, passé l'orage, il considère tout compromis, pour lui, compromissoire. Tout a un prix, la guerre, la paix, et même l'entre-deux guerres. Mais il lui incombe de le fixer. Il ne s'embarrasse point de limitation ni de démarcation, imposée par les autres. Il n'en a que faire. Ne vous inquiétez pas outre mesure de la «ligne rouge » dont parle la Communauté internationale, ne sachant d'ailleurs plus comment le contenir, non plus pour ses alliés comment continuer de le soutenir.Elle n'existe pas. Elle n'a jamais existé. Et, en tout cas, il ne la voit pas, par cécité politique. Ou alors elle est mobile, roulante et portative. L'art de la manœuvre Physiquement et surtout moralement, Bachar El Assad semble tenir le coup, mine de rien. Il se contrôle. Bien mieux encore, il se maîtrise de façon incroyable, arborant, des fois, un masque d'impassibilité qui lui sied d'ailleurs à merveille. C'est un négociateur imprévisible et retors, capable tout aussi bien de trancher par un revers de main un problème de fond que de refuser une réponse précise sur une question de débat. Il est, tour à tour, froid et chaleureux, sombre et souriant, selon les personnes, les circonstances ou le sujet, écoutant jusqu'au bout et poussant l'interlocuteur à épuiser idées et arguments. En tout état de cause, doté de nerfs d'acier, disions-nous déjà, Bachar El Assad déroute néanmoins par son imprévisibilité. Passé maître dans l'art de la manœuvre, il cache ses capacités tactiques insoupçonnables, pratique la politique, non pas de l'autruche, mais plutôt du bord du gouffre. Mais sachant s'arrêter au bon moment, juste avant le précipice. Attendons donc de voir où il en est déjà parce que, voilà, il n'y a plus de précipice : il est dedans. Il serait bien capable, à ses moments perdus, du pire, mais en demeurant encore capable de prendre la bonne décision, peut-être bien, après mûre réflexion, et au moment le plus inattendu. Pour mener ce jeu dangereux, tout en rouerie, notre homme ne se fie pas seulement à son pragmatisme, à ses solides appuis internes ou encore à ses inconditionnels soutiens externes, il se fie surtout à son flair. Quels qu'en soient d'ailleurs les failles. Et il en a un sacré flair, notre Bachar El Assad, infaillible, paraît-il. Pourvu, toutefois, qu'il en fasse un bon usage, au bon moment, avant qu'il ne soit trop tard. Mais que ce soit surtout dans l'intérêt bien compris de son peuple... Voyons, l'intérêt de son peuple ? Ce n'est guère évident. Car, en face de tant d'enjeux majeurs , ce serait là certainement le tout dernier de ses soucis.