Un budget de 10,174 millions de dinars a été prévu pour financer 883 listes représentant des partis politiques, 739 listes indépendantes, et 40 listes de coalition, réparties sur tout le territoire national Des vices de forme ont été constatés sur les livres comptables communiqués à la Cour à même de les dénuer de toute crédibilité. De même, l'objet de plusieurs dépenses ainsi que leurs avènements ne se rapportent pas à la campagne électorale. Sans oublier le dépassement du seuil des montants payés en espèces et les budgets alloués aux cadeaux 6% des listes indépendantes et 13% des listes des partis politiques n'ont reçu ces fonds publics qu'après l'expiration des délais de la campagne électorale Bien que la première expérience électorale démocratique d'octobre dernier ait engagé la Tunisie sur la voie de la démocratie, elle n'a pas été sans faille. Le dispositif national, institutionnel et juridique, n'a pas été en mesure d'épargner à la course à l'ANC des dépassements, notamment en matière de financement des campagnes électorales. Avec un budget prévisionnel de 10,174 millions de dinars pour financer 883 listes représentant des partis politiques, 739 listes indépendantes, et 40 listes de coalition, réparties sur tout le territoire national, la mission de contrôle semble bien délicate, voire impossible dans la conjoncture exceptionnelle que traverse le pays. En effet, plusieurs partis et indépendants, candidats à la Constituante, n'ont pas respecté les règles de déclaration des fonds, de justification des dépenses, de seuil des dépenses, de restitution des fonds publics... Lors d'une conférence de presse, tenue, hier, à Tunis, le premier président de la Cour des comptes, M. Abdelkader Zgoli, a rappelé que le décret-loi n° 35 de 2011 relatif aux élections des membres de l'ANC n'a pas précisé les modalités de contrôle du financement des campagnes électorales. Et que l'arrêté qui assigne à la Cour des compte la mission de contrôle des comptes des listes candidates n'a été publié que deux jours avant le démarrage de la campagne. «Ce qui a engendré le non-respect de cette mesure par bon nombre de listes candidates. Et de facto, on a commencé à enregistrer de multiples dépassements», martèle le premier président de la Cour des comptes. En effet, jusqu'à aujourd'hui, plusieurs partis n'ont pas encore remis leurs comptes à la Cour des comptes. «Seulement 38,57% des listes ont déposé leurs documents comptables à la Cour», déplore-t-il. Ces contrevenants ont bénéficié d'une enveloppe publique de l'ordre de 4,840 millions de dinars. Parmi ces contrevenants, il énumère 5 partis et 14 listes indépendantes qui occupent 487 sièges à la Constituante. « Même les documents qui ont été communiqués à la Cour des comptes témoignent de l'incompétence de leurs auteurs en matière de gestion comptable et financière », précise-t-il. Ce qui explique en partie le retard de l'élaboration du rapport, 6 mois après l'annonce des résultats définitifs des élections. Ces constats ainsi que des recommandations inspirées d'autres expériences démocratiques ont été réunis dans un rapport constitué de deux parties. Dans la première, les experts de la Cour ont relaté le financement des listes en cinq thèmes, à savoir le contrôle des comptes de la campagne électorale, le contrôle des dépenses des fonds publics, la vérification de la légitimité des ressources allouées à la campagne électorale, le contrôle des dépenses ainsi que la restitution des fonds publics. La deuxième partie a été consacrée aux recommandations qui s'étalent sur 7 volets. Des dépassements multiformes Le système d'octroi de la dotation publique a figuré aux premiers rangs des constats. Le premier président estime que ce système n'est pas équitable. Il illustre : «Des listes d'un arrondissement électoral ont bénéficié d'une enveloppe plus importante que d'autres dans des arrondissements qui comptent plus d'électeurs». De même, selon le critère de densité urbaine, ce système a généré des écarts considérables des fonds octroyés aux listes. Sur un autre plan, l'une des directrices de la Cour des comptes a fait savoir que plusieurs listes n'ont pas pu bénéficier de la première tranche de la dotation publique alors que d'autres listes ont encaissé cette tranche dans des arrondissements dans lesquels elles n'étaient pas candidates. «Un budget dépassant les 74 millions de dinars a été distribué par erreur, au titre de la première tranche de la dotation publique», précise-t-elle. De même, 78% des candidats ont bénéficié de la première tranche après les délais. Pis encore, 6% des listes indépendantes et 13% des listes des partis politiques n'ont reçu ces fonds publics qu'après l'expiration des délais de la campagne électorale. Pour ce qui est de la légitimité des ressources allouées par les listes, les intervenants ont mis l'accent sur les insuffisances inhérentes à un seul compte bancaire. En effet, dans le financement de leurs campagnes à l'étranger, les partis ont été contraints de passer par les comptes de leurs présidents ou par des comptes d'autres associations. S'agissant des ressources propres et privées, ces fonds ont échappé à tout contrôle puisqu'ils ne sont pas passés par ledit compte bancaire, faute de lois. Face à ce vide juridique, plusieurs difficultés ont refait surface, notamment les apports en nature. En somme, le responsable affirme que « plusieurs listes ont bénéficié de fonds illégitimes». Les difficultés persistent aussi au niveau des financements étrangers directs et indirects. « Si les investigations n'ont pas permis de prouver des financements étrangers directs, les campagnes médiatiques de soutien d'un parti ou d'une liste sont assimilées à un financement extérieur prohibé, conformément à l'article 52 du décret-loi 35 de l'année 2011», explique la directrice. S'attardant sur le contrôle des dépenses, des vices de forme ont été constatés sur les livres comptables communiqués à la Cour à même de les dénuer de crédibilité. De même, l'objet de plusieurs dépenses ainsi que leurs avènements ne se rapportent pas à la campagne électorale. Sans oublier le dépassement du seuil des montants payés en espèces et les budgets alloués aux cadeaux. Enfin, pour ce qui est de la restitution des fonds publics, la directrice a estimé que 911 listes qui ont bénéficié de la deuxième tranche de la dotation publique sont redevables à l'Etat d'une enveloppe de 2,977 millions de dinars. Vers un meilleur cadre réglementaire Toutes les recommandations, répertoriées en 7 dossiers, ont porté sur la révision du cadre juridique, de la définition d'une terminologie à l'endurcissement des sanctions applicables aux contrevenants en passant par l'harmonisation des textes régissant tout le processus électoral. Le document met l'accent sur la définition des termes financiers, notamment les dépenses électorales, les financements étrangers et privés. A cet égard, l'expert de la Cour a fait savoir qu'une meilleure coordination entre les institutions financières du pays, notamment la Banque centrale et les banques conventionnelles, avec le ministère de tutelle est de nature à apporter des progrès à la transparence des financements des campagnes électorales. Pour ce qui est du financement public, une révision des montants et du système de l'octroi des fonds s'impose en vue de limiter les écarts de financement entre les listes et préserver le budget de l'Etat. De même, le rapport recommande d'instaurer des normes comptables pour le financement des partis politiques et des campagnes électorales pour ne pas léser les structures légères des listes indépendantes. Enfin, le document recommande de réviser le système de sanctions qui reste silencieux sur certains dépassements, à l'instar des financements privés et du dépassement du seuil des dépenses électorales. A cet égard, les juristes recommandent de veiller à l'adéquation des sanctions aux dépassements.