Par Hamma HANACHI Depuis le mois de juin, depuis les attaques de l'exposition d'El Abdellia et le couvre-feu qui s'ensuivit, le mouvement salafiste a mis son calendrier d'actions sur le mode inactif. La situation sociale ne cessant d'empirer, une cascade de manifestations s'est déclenchée dans le pays, une grève régionale réussie à Sidi Bouzid, des émeutes à Sfax, des soulèvements à Sbeïtla, des marches de protestation à Kasserine. Le gouvernement refuse d'entendre les clameurs et les requêtes des régions, il répond par les bastonnades et les arrestations de jeunes manifestants. Un pôle d'opposition nouvellement constitué, imprime sa marque dans le paysage politique, ses chefs critiquent l'incapacité du gouvernement à gérer les affaires du pays. Bouquet final. Le 13 août, une manifestation grandiose à Tunis réunit des milliers de contestataires, hommes et femmes pour préserver les acquis de la femme. Succès éclatant. C'en est trop pour le parti au pouvoir, qui ne pouvait rester les bras croisés devant ces mobilisations et ces défilés d'opposants et de réclamations d'indignés. La réponse ne s'est pas fait attendre, comme par magie, des hordes sortent de leurs antres et se déploient sur le territoire, fanatisés et armés d'épées, de gourdins et de couteaux pour reconquérir la rue et faire taire toute voix discordante. A Menzel Bourguiba, ils interdisent la comédie 100% Halal de Lotfi El Abdelli, et improvisent une prière en groupe devant la salle de spectacle, à Kairouan, ils empêchent une troupe iranienne de chants soufis à se produire sous prétexte qu'elle est chiite, des heurts à Gabès entre deux clans font des blessés, le couronnement fut réservé à Bizerte où un raid d'une rare sauvagerie est perpétré contre les organisateurs du «Festival El Aqsa». Tel est le triste paysage de la fin de Ramadan, préparé et exécuté par des équipes d'extrémistes religieux. Un déploiement spontané ? Des actions horizontales (sans hiérarchie, sans chef ni ordre d'en haut)? Alors que l'opinion publique s'émeut de ces sauvageries répétées, que les partis d'opposition condamnent la violence, le mutisme et la passivité du ministère de l'Intérieur choquent le citoyen, aucune voix du mouvement Ennahdha ne s'est fait entendre, pas de condamnation, aucune dénonciation, pas de réprobation. Comment expliquer la succession de ces actes de violence, comment interpréter la passivité de la police et des autorités face à de tels phénomènes ? Des questions qui taraudent le citoyen et préoccupent les acteurs de la société civile. L'interrogation est une fois encore soulignée, existe-t-il une complicité, sinon une intelligence entre les salafistes et d'autres forces ? D'autres questions aussi cruciales sont suspendues : comment expliquer l'occupation des trottoirs et du territoire, du sud au nord, d'est en ouest, par des commerçants sans autorisation, des squatters qui reconnaissent apparemment la foi et ignorent la loi ? A qui profite le désordre général qui prévaut dans le pays ? La décomposition de l'Etat, le laxisme des autorités y sont pour beaucoup, l'abattement du citoyen y est pour quelque chose, l'inconscience ambiante, la désinvolture font le reste, ce qui est pour arranger les partisans d'une islamisation du pays. Rappelons au passage que le projet islamique, dans son essence, ignore et au besoin élimine la notion de culture de l'Etat, son dessein est de la remplacer par une culture morale selon laquelle la société, nourrie des valeurs religieuses se défend elle-même. Les démonstrations de force, des groupes en armes, épées et couteaux, des prières hors les mosquées, l'omniprésence des militants distribuant des tracts en pleine rue, des prières extravagantes de l'Aïd sur les plages en sont des échantillons écrasants. Notre société est sujette à tous les abus commis par des minorités agissantes, aujourd'hui, la porte est ouverte à l'anarchie et à la loi du plus fort. Jusqu'à quand ? Qui eût imaginé, dans la Tunisie moderne, longtemps enviée pour ses structures d'Etat, bâties depuis des siècles, modernisées par Bourguiba, que des hordes téléguidées exhiberaient une tumeur idéologique menaçant les institutions, l'individu, la vie sociale et la citoyenneté ? Spectacle à Djerba. BB Band Live, une jeune formation composée de musiciens tunisiens et allemands, animés par un esprit d'échange et de partage. Avant de jouer à Dar Chérif, le groupe s'est produit à Ennejma Ezzahra et à Al Abdellia. Une spectatrice se souvient «El Abdellia, ça existe encore, ils ne l'ont pas détruit?». Curieusement, le palais a gagné sa célébrité suite à une exposition d'art moderne, attaquée par des salafistes.