Les prémisses d'une nouvelle dictature théocratique se font de plus en plus voir dans la nouvelle Tunisie «postrévolutionnaire» et qui se vante d'être la pionnière en matière d'émancipation et de libertés intellectuelles dans les pays arabes. Quand le politique le dispute à l'art et que, dans un silence hallucinant de la part des autorités face à ces dépassements, les Tunisiens, aujourd'hui, surtout ceux mordus de manifestations artistiques, se demandent si l'art n'a plus lieu d'exister dans cette nouvelle Tunisie qu'ils croyaient émancipée, libre et moderne.
Une fois «est» coutume
Il suffirait de citer la série noire des attaques contre des manifestations culturelles, à commencer par celle du palais Abdellia pour en arriver, jeudi soir, à l'interdiction du concert de Lotfi Bouchnak à Kairouan, par des barbus, dans le cadre du festival du chant soufi. Un grave incident qui vient juste après celui qui s'est produit au festival culturel de Menzel Bourguiba où le spectacle «100% Hallal» de l'humoriste Lotfi Abdelli a été tout bonnement annulé suite à l'envahissement du théâtre par des prétendus salafistes.
Après le 4ème art, maintenant on s'attaque aux chants. Cette fois-ci, c'est le chant soufi qui est «sauvagement» prohibé dans un espace culturel, où l'art semble être dans la ligne de mire et visé par des esprits obscurantistes et rétrogrades. Le chanteur Lotfi Bouchnak était donc interdit de se produire accompagné d'un groupe iranien.
Selon les déclarations faites par le Secrétaire général de l'Union des artistes tunisiens, Hamadi Whaibi, les agresseurs, ont intimé aux chanteurs iraniens l'ordre de quitter les lieux et ordonné au chauffeur de les ramener à l'hôtel où ils résident. Des témoins oculaires, voulant assister au concert se sont retrouvés médusés face à cette agitation durant laquelle les trouble-fêtes ont bloqué l'entrée de l'amphithéâtre.
Le motif qu'avancent les prétendus salafistes c'est les croyances religieuses de la troupe iranienne qui étaient composée de Chiites.
Sommes-nous bien en Tunisie ?
Un grand point d'interrogation pour toutes ces attaques réitérées contre toute forme d'expression artistique. Depuis des mois, les agressions à l'encontre de l'expression artistique pullulent et ébranlent même l'ordre public et la sécurité des citoyens.
Aujourd'hui plus que demain, les obscurantistes attaquent et tiennent à imposer leur loi, une loi qu'ils disent inspirée du texte sacré. An nom de la religion et du Sacré, ces personnes qui se prétendent plus pieuses que leurs semblables, se permettent de faire le bon et le mauvais temps, dans un Etat où le Tunisien ne sait plus qui détient les rênes du pouvoir et qui exécute la loi.
Ce qui s'est passé jeudi soir à Kairouan incite à la réflexion. Outre le caractère blasphématoire et impie que l'on veut coller à l'art et à toute forme d'expression artistique, il s'agit là d'un problème encore plus alarmant.
Zéro tolérance et dogmes archaïques!
Empêcher une troupe musicale de se produire chez nous pour sa croyance religieuse est plus que scandaleux ! Deux raisons nous mettent la puce à l'oreille.
D'abord, les Tunisiens ont toujours été connus, depuis des siècles, pour leur hospitalité, leur ouverture d'esprit et l'amour d'autrui. La Tunisie possède cette qualité de réceptacle de toutes les civilisations et le panachage des croyances qu'elles soient idéologiques, raciales ou théologiques.
Sommes-nous en phase de mutation spirituelle ? Sommes-nous devenus xénophobes au point de ne plus accepter toute personne étrangère à nous ou ayant des croyances religieuses différentes des nôtres ? Devrons-nous cadenasser nos sols et nous condamner à vivre en vase clos parce que telle ou telle personne ne partage pas notre avis, notre idée, nos normes ou nos pratiques théologiques ?
Aurions-nous oublié que la religion est une affaire personnelle ? Aurions-nous oublié que notre aimable Prophète commerçait avec les étrangers, qu'ils soient chrétiens, juifs ou autres ? Sommes-nous devenus amnésiques au point d'oublier l'Histoire et d'inventer une nouvelle religion qui met au placard la tolérance, l'amour d'autrui et le pacifisme, autant de normes que prônait notre Prophète?
Pourquoi contribuons-nous à cette campagne qui tient à noircir à n'importe quel prix l'image de l'Islam ? Une religion qui appelle à l'ouverture sur autrui et aux bonnes mœurs ? Pourquoi cultiver le culte de la ségrégation et de la violence et nous condamner à vivre en ermites pareils aux hommes des cavernes ?
Elle est à la fois drôle et désolante cette image que certains tendent à galvauder et colporter sur notre identité tunisienne !