Par Néjib OUERGHI Le rôle des structures de représentation des médias dans la résolution des crises avec les pouvoirs publics s'est affirmé d'une manière manifeste cette semaine. La coordination qui s'est opérée dans l'urgence entre ces différents partenaires a été très vite prise au sérieux, décrispant un tant soit peu la situation, sans exclure définitivement le recours à l'arme de la grève dans le secteur, et favorisant l'établissement d'un dialogue franc. A l'évidence, les réactions de rejet qui ont accompagné la nomination des directeurs généraux de la télévision tunisienne et de Dar Essabeh s'expliquent par la peur d'une mainmise du gouvernement sur les médias publics, coupables de s'être affranchis du joug qui les avait longtemps asservis, laissant planer un nouveau bras de fer entre la présidence du gouvernement et le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), notamment. Une initiative commune de l'association des directeurs des journaux tunisiens, du Snjt et du Syndicat général de l'information et de la culture a permis, provisoirement, de désamorcer la bombe et de favoriser un dialogue direct sur toutes les questions en suspens, y compris celles qui fâchent. La rencontre de la Kasbah, jeudi dernier, qui a réuni une délégation tripartite et le président du gouvernement, a permis au moins de tirer une première conclusion : la tension qui empreint les relations entre les deux parties est due, en grande partie, à l'absence de concertations directes et pérennes. Le déficit de communication a été un facteur d'exacerbation des tensions, de la méfiance réciproque, du manque de convergence de vues et de confiance. La suspension de l'entrée en vigueur des décrets 115 et 116, qui devraient initialement régir le secteur de la presse écrite et audiovisuelle et favoriser la création de structures de régulation et de concertation, a accentué l'animosité et favorisé des polémiques autour de la liberté d'expression et de l'indépendance des médias; un secteur qui a subi depuis l'indépendance du pays un asservissement en règle et une instrumentalisation avilissante. C'est que la liberté d'expression acquise et conquise reste l'objet de toutes les incertitudes et fait face à des risques réels. Toutes les déclarations contradictoires, les menaces voilées et les manifestations de désamour exprimées contre les médias publics depuis les élections du 23 octobre 2011 n'ont fait qu'accroître les craintes, les doutes et les suspicions. Dès lors, la mobilisation des journalistes et des associations de la société civile pour préserver ce précieux acquis et leurs appels incessants pour consacrer ce droit dans le préambule même de la nouvelle Constitution traduisent une détermination : ne plus jamais faire machine arrière, ne plus faire basculer ce secteur dans l'escarcelle du jeu politique. La concertation engagée a prouvé que la méfiance et le manque de confiance sont loin d'être une fatalité et qu'une guerre de domination des médias publics est perdue d'avance. La Tunisie postrévolution a, plutôt, besoin de médias indépendants, professionnels et crédibles pour construire sa démocratie que de simples instruments de désinformation ou de propagande. En se dessaisissant de leurs a priori respectifs, les deux parties ont trouvé des points de convergence : la concertation sur toutes les questions s'avère comme une piste envisageable pour épargner ce secteur, fragilisé et en reconstruction, des secousses qui pourraient le désarticuler davantage. Le mur de la suspicion étant peu ou prou levé, il revient aux uns et aux autres de tout remettre sur la table pour que ce secteur poursuive la mission qui lui incombe dans un esprit d'ouverture, de liberté et d'indépendance. En effet, recadrer le dialogue sur le front professionnel et éthique aiderait beaucoup à décrisper les tensions, à exclure toute velléité d'hégémonie et à permettre aux journalistes de s'acquitter de leur mission. Une mission qui ne consiste pas à servir un agenda politique, des intérêts économiques, mais plutôt à informer le Tunisien, en toute indépendance et objectivité, sur tout ce qui se passe dans le pays. Renforcer cette confiance par des actes et des actions concrets permettrait aux médias tunisiens d'évoluer et aux journalistes de faire valoir leur professionnalisme et au pays de disposer d'un contre-pouvoir qui servirait ses intérêts, loin de tout calcul politique étriqué. L'engagement de ce dialogue franc sur une initiative des structures de représentation professionnelle réunies, pour la première fois, pour défendre des principes partagés, est une avancée dans le bon sens. Elle traduit une prise de conscience commune sur l'existence de points de rencontre entre les différents acteurs du paysage médiatique national. Ce dernier gagnera en vigueur le jour où le cadre réglementaire mis au point trouvera le chemin de l'application. Le flou qui a jusqu'ici régné finira par disparaître et chaque partie sera appelée à assumer pleinement ses responsabilités, loin de toute tentation d'hégémonie ou de manœuvres dont les desseins sont inavoués. La finalité n'est-elle pas de faire en sorte que la liberté de parole et d'expression s'érige en un principe consacré et partagé par tous. Il ne faut pas oublier que la liberté de la presse est la base de toutes les autres libertés et que «plus on prendra de soin pour ravir aux hommes la liberté de parole, avait prédit un philosophe hollandais, plus obstinément ils résisteront».