Par Abdelhamid Gmati La situation des médias tunisiens serait « très grave » selon Reporters sans frontières, qui défend la liberté d'informer et d'être informé partout dans le monde. Déjà, sous Ben Ali, cette ONG avait dénoncé à maintes reprises les entraves à la liberté de la presse et les exactions que subissaient les médias et les journalistes tunisiens. Le régime dictatorial en était tellement dérangé qu'il en arrivait à interdire le territoire tunisien aux représentants de RSF. Aujourd'hui, installée dans le pays, elle est attentive à l'exercice de la liberté de la presse. Dans un communiqué publié lundi, l'organisation écrit : «Un mandat de dépôt a été émis, le 24 août 2012, par la chambre criminelle de la cour d'appel de Tunis, à l'encontre de Sami Fehri, directeur de la chaîne Attounissia TV. Ce dernier est poursuivi pour les préjudices financiers subis par la Télévision nationale tunisienne à l'époque du régime de Zine El-Abidine Ben Ali, notamment de potentiels dépassements contrevenant aux contrats signés entre la Télévision nationale et Cactus Production, une société actuellement sous contrôle judiciaire. Sami Fehri en était actionnaire aux côtés de l'homme d'affaires Belhassen Trabelsi, frère de l'ancienne Première dame du pays. Sami Fehri encourt jusqu'à 10 ans de prison. Actuellement en liberté, il attend une convocation officielle pour se présenter au commissariat. Reporters sans frontières s'inquiète des vices de procédure ayant accéléré la délivrance d'un mandat de dépôt à l'encontre de Sami Fehri et demande la tenue d'un procès équitable, sans interférence du pouvoir». Ses appréciations sont édifiantes : «Les attaques et les menaces proférées à l'encontre des professionnels de l'information doivent impérativement être prises au sérieux, et leurs auteurs sanctionnés. Il est de la responsabilité des autorités de garantir la protection de l'ensemble des citoyens vivant sur le sol tunisien, notamment les professionnels des médias. L'insécurité actuelle, source d'autocensure pour les journalistes, constitue un danger important pour la liberté de l'information en Tunisie». En fait, les organisations syndicales, les médias, les journalistes et la société civile s'inquiètent, depuis des mois, des nombreuses décisions prises par le gouvernement, accusé de vouloir contrôler la presse et les journalistes. Les récentes nominations de responsables à la télévision publique et au groupe de presse Dar Essabah ont suscité un tollé général. Au point que le Premier ministre s'est empressé de recevoir les syndicats représentant les médias. La rencontre a semblé avoir dénoué la crise, le gouvernement s'engageant à dialoguer et se concerter avec ces syndicats par le biais d'un comité de concertation. Il faut rappeler que les nominations arbitraires à la tête des médias publics se sont multipliées depuis janvier dernier et le gouvernement s'est toujours déclaré en faveur de la concertation, du dialogue et de la préservation de la liberté de la presse. Mais les actes ne sont pas conformes aux paroles. Depuis son accession au pouvoir, le mouvement islamiste a multiplié les actions pour mettre la main sur les médias et en faire des caisses de résonance. Et à chaque fois qu'il y a eu résistance, dénonciation, toute une campagne d'accusations, de dénigrement, d'intimidation est déclenchée contre les médias. Actuellement, le conseiller du Premier ministre brandit la menace d'une liste noire des journalistes. Il y a quelques jours, un journal électronique publiait la liste des médias tunisiens et étrangers ayant reçu de l'argent de l'Atce, en mentionnant les montants. Mais on a oublié de dire que ces sommes correspondaient au paiement de publicités publiques, l'Atce étant chargée de gérer les publicités de l'Etat. Rien de répréhensible donc. Mais tout est bon pour salir les médias et les journalistes et les mettre aux ordres. Si l'on comptabilise les agressions dont ont été victimes les journalistes, les nombreuses campagnes de dénigrement et d'accusations (les médias étant coupables de la situation désastreuse du pays), et les nombreuses résistances des gens de la profession, attachés à leur liberté d'expression et de presse, force est de conclure que l'on a là un dialogue de sourds. Le mouvement islamiste agit, donne des assurances et fait la sourde oreille. Témoin: aucune des nominations contestées n'a été annulée. De fait, la philosophie même de ce mouvement, organisé en secte, se base sur l'obéissance, c'est-à-dire sur la pensée unique. C'est antinomique avec la liberté de pensée, la liberté de la presse. La liberté de la presse ne s'offre pas. Aux médias tunisiens de l'exercer, envers et contre tout, malgré les procès iniques, les intimidations, les menaces et autres actions liberticides.