• Le rapport a recensé une agression par semaine en moyenne contre les professionnels des médias en une année, soit un niveau supérieur à celui atteint sous Ben Ali ! • «La police ne détient plus le monopole de la répression; des hommes politiques et des milices à la solde de certains partis politiques s'y mettent», s'alarme Aymen Rezgui, membre du Bureau exécutif du SNJT chargé des libertés Rapport du syndicat national des journalistes tunisiens La liberté de la presse constitue l'un des principaux acquis de la révolution, mais les agressions contre les journalistes dépassent de loin les niveaux atteints sous le règne de Ben Ali. Dans son rapport annuel sur «l'état de la liberté de la presse en Tunisie», le Syndicat national des Journalistes Tunisiens (SNJT) s'est réjoui de l'élargissement de la marge de la liberté d'expression dans le sillage de la chute de l'ancien régime liberticide , tout en tirant la sonnette d'alarme sur la montée en flèche des agressions contre les professionnels des médias. Le rapport qui couvre l'année allant du 3 mai 2011 au 3 mai 2012 a recensé plus d'une cinquantaine d'agressions contre les professionnels des médias. « Il s'agit d'un nombre ahurissant qui n'a jamais été atteint même du temps du régime dictatorial de Ben Ali. Nous avons répertorié une agression par semaine en moyenne», s'inquiète Aymen Rezgui, membre du Bureau exécutif du SNJT chargé des libertés. Et d'ajouter : «auparavant ceux qui bâillonnaient la presse et tabassaient les journalistes étaient connus et facilement indentifiables, en l'occurrence les membres de la police politique. Désormais, la police ne détient plus le monopole de la répression et de l'intimidation des professionnels des médias. Des hommes politiques et des milices à la solde de certains partis politiques s'y mettent également » Les journalistes ciblés de façon systématique Selon le rapport du SNJT, la police a renoué avec ses pratiques répressives à l'encontre des journalistes quelques mois seulement après la fuite de Ben Ali. Une quinzaine de journalistes ont été, en effet, violemment agressés par des policiers en uniforme et en civil le 6 mai 2011 alors qu'ils couvraient une manifestation à l'Avenue Habib Bourguiba, à Tunis. Ces journalistes ont brandi leur carte professionnelle et crié qu'ils étaient journalistes, mais cela n'a pas empêché les policiers de les attaquer sans ménagement ! Huit autres cas de violence similaires ont été enregistrés plus tard. « Les journalistes sont souvent ciblés de façon systématique », déplore Néjiba Hamrouni, la présidente du SNJT. Selon elle, des excuses ont été présentées par des responsables du ministère de l'Intérieur qui promettait aussi à chaque fois d'ouvrir des enquêtes, qui n'ont, pour l'heure, pas abouti. De même certains journalistes agressés ont déposé plainte, mais aucune audience n'a été fixée jusqu'ici ! Des responsables politiques au banc des accusés Le syndicat a, d'autre part, recensé une dizaine d'agressions perpétrées par des hommes politiques. Il cite, entre autres, une agression commise le 13 juillet 2011 par l'ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi contre une journaliste du journal télévisé de 20 heures de la chaîne Al-Wataniya ainsi que l'entrée de force d'un élu d'Ennahdha au siège de la télévision nationale, le 10 avril 2012 Une vingtaine d'agressions contre les journalistes ont été, par ailleurs, perpétrées par des milices à la solde de certains partis ou courants de pensée, dont le mouvement Ennahdha et de partis appartenant à la mouvance destourienne. Ainsi, le correspondant de la chaîne qatarie Al-jazzera en Tunisie Lotfi Hajji a été pris à partie et molesté lors d'un colloque regroupant des partis se réclamant de la mouvance bourguibienne à Monastir le 24 mars. Le journaliste Walid Hamraoui a été, quant à lui, violemment tabassé, le 23 avril dernier, par des protestataires proches du mouvement Ennahdha qui campaient devant le siège de la télévision nationale. Tentatives de domestication des médias Sur un autre plan, le rapport sur l'état de la liberté de la presse fait état d'une campagne de dénigrement des journalistes orchestrée par le gouvernement et visant à mettre le secteur en coupe réglée. Il cite notamment les déclarations de certains responsables gouvernementaux ou des représentants d'Ennahdha et du Congrès pour la République (CPR) qui avaient accusé les journalistes de rouler pour l'opposition, allant jusqu'à menacer de privatiser les médias publics. En février dernier, Samir Dilou, ministre des Droits de l'homme et membre du parti islamiste, a accusé les journalistes de chercher à «passer une nuit en prison pour effacer leur passé et se purifier de leurs péchés». Une représentante du même parti à l'Assemblée constituante a, quant à elle, traité récemment les professionnels des médias de « mouches». Le SNJT s'inquiète aussi de la nomination par le Premier ministre Hamadi Jebali, début janvier dernier, des certains ex- propagandistes du régime de Ben Ali à la tête de médias publics et du retour de la censure au nom du « religieusement correct» comme le prouvent le procès intenté contre Nessma TV suite à la diffusion du film d'animation «Persépolis» et l'arrestation du directeur du quotidien Attounissia suite à la publication de la photo d'une femme nue. Walid KHEFIFI