Avec le démarrage, mardi 23 octobre, de la discussion générale du préambule de la Constitution, les Tunisiens ont été surpris de découvrir que les points de discorde qu'on croyait résolus au sein de la commission spécialisée émergent de nouveau. Ainsi, certains constituants sont revenus à l'introduction de la charia en tant que source principale de législation, à la criminalisation de l'atteinte au sacré et à l'incrimination de la normalisation avec l'entité sioniste. Comment les constituants ont-ils réagi à ce débat que beaucoup pensaient dépassé ? Quels sont les points qu'ils voudraient voir introduits dans le texte du préambule et ceux qu'ils proposent de faire disparaître afin de faciliter le consensus sur la voie de l'adoption du texte du préambule. Au moment où ils se préparent à reprendre leurs discussions aujourd'hui, certains constituants ont fait part de leurs positions à La Presse. Naceur Brahmi, constituant appartenant au mouvement Wafa : Le recul de certains n'était que partie remise Le retour des points de discorde, dès la première séance plénière consacrée à la discussion générale du préambule, montre à quel point le paysage politique national est divisé. Chacun attend l'occasion propice pour revenir sur les positions consensuelles et imposer ses convictions personnelles d'autant plus que ces dernières sont partagées par ceux qui soutiennent les parties reniant leurs positions au sein de la commission spécialisée. Aucune partie ne veut se démarquer de sa base électorale ou de son héritage culturel, voire la coalition à laquelle elle appartient. Les consensus qu'on croyait atteints au sein des commissions constituantes sont perçus par les uns et les autres comme une trahison de leurs principes initiaux. Le recul de certains n'était, en réalité, que partie remise. Le débat lors des séances plénières est l'heure de vérité. On ne peut plus se permettre d'user de tactique, on est obligé de revenir aux positions premières. Quant au point de divergence qui domine la scène politique nationale, c'est bien celui relatif à la nature de l'Etat qu'on va choisir : un Etat civil ou un Etat théocratique. Personnellement, je pense qu'il faut trancher en faveur d'un Etat civil. Le premier point à inscrire au préambule est bien celui de l'Islam en tant que religion de la majorité des Tunisiens. Mais, il faut préciser quel type d'Islam allons-nous promouvoir. Pour moi, c'est l'Islam qui garantit les libertés fondamentales et qui n'est pas en contradiction avec les acquis de l'Humanité. Skander Bouallagui, porte-parole du parti Al Aridha : Ben Jaâfar a tout faussé dès le départ Je pense qu'il doit y avoir un dialogue libre et responsable entre les partis représentés au sein de l'Assemblée nationale constituante afin de parvenir à un consensus sur les points de discorde. Malheureusement, le président de la Constituante a faussé le dialogue bien avant qu'il ne démarre. Il a, en effet, pris l'initiative de réunir certains partis politiques en vue d'examiner les points de discorde tout en excluant d'autres partis politiques. C'est un comportement qui n'est pas surprenant de la part de ce président qui a toujours appliqué la politique des deux poids, deux mesures. Son attitude d'exclusion et de marginalisation est bien à l'origine de la piètre image qu'ont eue les Tunisiens de la première séance de discussion générale du préambule. Au sein d'Al Aridha Achaâbia, nous demeurons attachés à notre position initiale, celle d'appeler à l'inscription dans le préambule de la charia en tant que source principale de la législation, surtout que nous avons promis à nos électeurs d'agir dans ce sens. En revenant sur nos positions, nous trahirons nos électeurs qui nous ont accordé leur confiance, sur la base d'un programme qui insiste précisément sur cette question. Quant au consensus général, nous sommes ouverts au dialogue sur tous les points non contenus dans notre programme, à condition qu'on soit invité à ce dialogue. Toutefois, nous avons la conviction que la majorité actuelle n'est pas une majorité de dialogue ou de consensus. Mahmoud Baroudi, constituant appartenant au groupe démocratique : Ennahdha a le devoir de respecter ses engagements A mon avis, les points de discorde concernent Ennahdha en premier lieu. S'il y a eu un désaccord sur le point relatif à la charia, c'est à Ennahdha de trouver la solution puisqu'elle a un engagement moral vis-à-vis du peuple tunisien dans la mesure où elle a promis de garder l'article n°1 de la Constitution du 1er juin 1959. Quant aux points à ajouter au texte du préambule, je pense qu'il est impératif d'introduire le référentiel relatif à l'universalité des droits de l'Homme. Il faut insister davantage sur la question des libertés et éviter au maximum le flou ou les généralités qui sont sujets à toutes les interprétations possibles. A mon avis, le travail qui a été accompli par la commission du préambule, des principes fondamentaux et de la révision de la Constitution est un travail considérable. Je ne peux que saluer la profondeur et la teneur du rapport qui en a résulté sous la supervision du Dr Abdelmajid Najjar, considéré comme la personnalité la plus éclairée au sein d'Ennahdha. Mais, il reste beaucoup de zones d'ombre à clarifier. Samir Ben Amor, constituant CPR : Une Constitution pour tous les Tunisiens Au sein du Congrès pour la République, nous considérons qu'il doit y avoir un consensus sur les différents chapitres de la Constitution. Pour nous, la future Constitution ne doit pas être celle de la majorité au pouvoir, ni celle d'une catégorie sociale bien déterminée. Nous voulons qu'elle soit celle de tous les Tunisiens. Pour ce qui est des points de discorde ou de division, nous estimons qu'ils peuvent être reportés à plus tard. Toutefois, il est normal que ces points soient évoqués et discutés lors des séances plénières. L'essentiel est que la plupart des groupes parlementaires soient d'accord sur le contenu du préambule de la Constitution. Je ne pense pas qu'il y aura des problèmes lors du vote et je suis convaincu que rien ne sera ajouté à l'article premier de la Constitution de 1959, comme convenu. Concernant la criminalisation de la normalisation avec les sionistes, elle ne peut être inscrite dans la Constitution. Elle est à mentionner dans le code pénal. Il n'y a pas de Constitution de par le monde qui contienne des articles relevant du code pénal. Et de toutes les manières, un consensus s'est dégagé entre les groupes parlementaires pour ne pas introduire cette question et celle de l'atteinte au sacré au sein du texte de la Constitution.