La magistrature tunisienne, telle qu'elle est, demeure incapable de jouer un rôle significatif dans la réalisation des objectifs de la révolution du 14 janvier. Le secteur souffre, en effet, des mêmes difficultés et carences que celles d'autrefois et les conditions générales dans lesquelles évoluent les magistrats, aujourd'hui, s'avèrent très précaires. Voilà les principales remarques avancées par certains magistrats et juristes lors d'un séminaire scientifique tenu, hier, à Tunis, à l'initiative de la Coordination nationale pour la justice transitionnelle, en collaboration avec l'Association des magistrats tunisiens et l'Ordre national des avocats et en partenariat avec la Fondation Friedrich Ebert Stiftung et le Réseau méditerranéen des droits de l'homme. Ouvrant les travaux de ce séminaire, Mokhtar Trifi a noté que le magistrat tunisien est toujours accablé par de multiples contraintes affectant directement la qualité de son travail. Dans cette perspective, il a souligné que la non protection du magistrat l'empêche de s'acquitter comme il se doit de sa tâche. Selon lui, ce même magistrat fait face à toutes sortes de menaces et de la part des justiciables et de la part du pouvoir politique représenté par le ministère de la Justice, en l'absence d'une instance supérieure provisoire de la magistrature. Trifi a ensuite indiqué que les juges des circonscriptions pénales traitent généralement entre 250 et 300 dossiers au cours de la même audience. Ce qui présente en soi un handicap de taille devant la bonne finalisation de leur mission, a-t-il fait valoir. Il a par la suite évoqué la question de la formation dispensée aux magistrats tunisiens, précisant que celle-ci ne répond pas aux exigences du présent, compte tenu de l'ensemble des défis posés au pays en matière de justice transitionnelle. Dans cet ordre d'idées, le même intervenant a affirmé que la plupart des poursuivis en justice pour avoir nui à l'intérêt supérieur de la Tunisie et des Tunisiens disposent des moyens matériels qui leur permettent de consulter les meilleurs cabinets de consultation nationaux et internationaux. Alors que les magistrats tunisiens sont réduits à de simples agents d'exécution isolés dans leurs bureaux. Livrant sa propre conception du statut que doit avoir le magistrat en Tunisie, Trifi a fait remarquer qu'il doit bénéficier de conditions de travail décentes, comme le fait de mettre à sa disposition une équipe d'experts et d'assistants à même d'alléger son fardeau. Tout autant qu'il doit être présent, entre autres, dans les formations de l'Instance supérieure indépendante pour les élections et de la Cour constitutionnelle. Trifi a, en outre, fait observer que tant que les magistrats, qui étaient des pions entre les mains du régime déchu, occupent des postes de responsabilité (tels que les magistrats déployés dans les événements du bassin minier) la léthargie de la magistrature tunisienne durera encore longtemps. Le magistrat Faten Bou Setta a pour sa part indiqué que l'absence d'une instance provisoire pour la magistrature affecte en premier lieu l'indépendance de la magistrature, vu que les magistrats ne disposent d'aucune autre institution qui veille à leur protection contre les dérives possibles de l'autorité de tutelle. De ce point de vue, elle a laissé entendre que le mouvement des magistrats est un outil de pression servant à faire plier le magistrat à la volonté du pouvoir politique en place, en l'absence d'une instance régulatrice. L'intervention du juriste Hafedh Brigui s'est articulée autour de trois axes, à savoir la révocation par le ministre de la Justice de 82 magistrats, la décision portant création d'un pôle judiciaire spécialisé et la décision ministérielle relative au mouvement des magistrats. Débattant du premier axe, Brigui a déclaré que la décision de révocation dont il est question comporte plusieurs dépassements et relève d'une pure improvisation. Selon lui, la méthode appliquée dans ladite révocation constitue une franche humiliation pour le secteur, vu que l'on n'est pas passé par les conseils de discipline concernés. Dans la même optique, le juriste a noté que l'ordre publié dans le Journal officiel tunisien ne comporte pas la signature de la partie qui l'a émis, et ce, afin de se soustraire à l'obligation de rendre des comptes. S'agissant de la décision portant création d'un pôle judiciaire, Brigui a noté que l'idée en soi est bonne, sachant qu'une telle institution permettrait de mieux trancher dans plusieurs litiges et différends complexes qui nécessitent une fine connaissance du droit administratif. Toutefois, un pôle judiciaire tel que conçu par le ministère de la Justice aurait été, une fois créé, «une vraie catastrophe», a-t-il ajouté. Pour ce qui est de la décision ministérielle relative au mouvement des magistrats, il a fait remarquer qu'elle a été prise en fonction d'un Conseil supérieur de la magistrature ayant été réactivé à la dernière minute afin de conférer à cette décision une légitimité. Il a de surcroît affirmé que le renoncement à la création d'une instance provisoire de la magistrature au sein de l'Assemblée nationale constituante n'a fait qu'empirer la situation de tout le corps judiciaire.