L'heure de la confrontation finale entre le gouvernement de la Troïka et la mouvance salafiste, plus particulièrement ceux se déclarant appartenant à la branche dite jihadiste, a-t-elle sonné ? La question est d'autant plus légitime que les déclarations d'un chef salafiste sur les plateaux de la chaîne Attounsia, jeudi soir, ont semé le trouble parmi les Tunisiens et ont suscité de vives réactions de peur et d'inquiétude. La Presse a donné la parole à certains acteurs du paysage politique national sondant leurs positions. Réactions. Walid Bennani, vice-président du groupe parlementaire d'Ennahdha à l'ANC : Halte à tous les calculs partisans Je crois que ce qui s'est passé, jeudi soir, sur les plateaux d'une télévision privée est très dangereux et la société est appelée à engager une profonde réflexion sur ce phénomène. C'est la première fois que les éléments les plus durs de la mouvance salafiste incitent les jeunes à passer à l'action et à commettre des crimes. Nous devons, tous, essayer d'isoler ces éléments et engager un très profond dialogue avec cette large frange de jeunes qui sont attachés à leur identité arabo-islamique, mais qui interprètent mal la religion. C'est à nous tous de les aider à revenir au juste milieu qui représente la marque distinguant l'Islam. Je demande à tous ceux qui usent de ce discours de revenir à la raison. Toutefois, il est important de ne pas tomber dans la généralisation et d'éviter les sanctions collectives. L'ANC devrait réagir et publier, au moins, une déclaration incitant à la préservation de l'unité nationale. Maintenant, il s'agit d'un problème de sécurité nationale qui passe avant tous les calculs partisans. Abdelwaheb Héni, président du parti «Al Majd» : Nous appelons à une charte nationale contre la violence Premièrement, l'heure de la fermeté a sonné depuis longtemps, mais malheureusement, le gouvernement était par trop laxiste sous l'influence du principal parti au pouvoir, Ennahdha, qui voulait faire passer ses propres calculs et alliances politiques aux dépens de la sécurité de nos concitoyens. Aujourd'hui, il s'agit de défendre l'unité nationale; malheureusement, certains dirigeants d'Ennahdha continuent à privilégier l'unité de leur parti au détriment de l'unité nationale. Au parti Al Majd, nous appelons nos partenaires d'Ennahdha à choisir la stabilité de la nation avant les intérêts de leur propre parti. Pour ce qui est de la confrontation inévitable avec les salafistes, nous soutenons les efforts loyaux des forces de sécurité, de l'armée et de nos concitoyens pour imposer la loi républicaine. Il nous semble que le ministre de l'Intérieur, Ali Laârayedh a pris les bonnes décisions récemment, mais c'est un combat national auquel nous devons tous contribuer, notamment l'ANC et les partis politiques. Dans ce sens, Al Majd appelle à une charte nationale contre la violence quelle que soit sa provenance et quelle que soit sa légitimation politicienne. Nous avons déjà lancé au sein de notre parti une initiative pour le consensus et la concorde nationale, le 6 septembre dernier, pour une feuille de route de consensus national, notamment contre la violence. Mohamed Brahmi, président du parti Mouvement «Achaâb» : La violence ouvrira la porte aux interventions étrangères Au parti Mouvement «Achaâb», nous ne souhaitons pas de confrontation ni entre les salafistes et Ennahdha, ni entre Ennahdha et n'importe quelle autre partie. La confrontation signifie que la violence va s'installer dans notre pays. Elle menace le processus même de la révolution et nous n'exagérons en rien en soutenant que la violence constitue un grand obstacle qui freinera les aspirations légitimes du peuple tunisien à l'édification d'un Etat démocratique et à un modèle de développement juste et équilibré. La violence constitue, par ailleurs, un style sous-développé pour trancher les luttes politiques qui doivent être réglées par le dialogue et la coercition et non par le langage de la force. Notre appréhension à l'égard de la violence est profondément sérieuse car au cas où elle s'installerait dans notre pays, elle ouvrirait la porte aux interventions étrangères de la part de certains pays qui ne cachent plus leurs intentions. Ce qui est en train de se tramer au Mali et au Sud de l'Algérie constitue une preuve indiscutable sur l'appétit de certaines puissances interventionnistes. Quant aux partis politiques, ils ont le devoir d'éviter les discours haineux et d'incitation à la violence et de se débarrasser des calculs partisans, dans la mesure où la nation est au-dessus de tous les partis. L'ANC, de son côté, est appelée à récupérer son rôle qui lui a été confisqué par le pouvoir exécutif et de faire face à la domination outrancière d'Ennahdha qui cherche à imposer ses visions par la force. La Constituante se doit également de faire face à ceux qui usent de la violence pour répondre à la politique d'Ennahdha. Slaheddine Jourchi, militant associatif et coprésident de la Constituante civile : L'éradication de la violence, la responsabilité de tous Ce qui s'est passé, jeudi soir, sur la chaîne Attounsia et les événements tragiques survenus dans la région de Douar Hicher constituent un nouvel épisode dans l'escalade engagée entre Ennahdha et les groupes considérés comme appartenant à la mouvance salafiste et qui se présentent comme étant des salafistes jihadistes. La confrontation a déjà eu lieu depuis quelques mois lors des événements de Bir Ali Ben Khalifa, du conflit qui a éclaté à propos de l'inscription de la charia dans le texte de la Constitution ou à l'occasion des actes de violence qui ont ciblé l'ambassade américaine. Quant aux événements sanglants de Douar Hicher, ils n'ont pas éclaté, en réalité, contre Ennahdha ou contre le gouvernement de la Troïka. Il s'agissait, en fait, d'incidents de violence qui pouvaient être circonscrits entre les habitants de la cité. Malheureusement, l'agression perpétrée contre le commandant Wissem Ben Slimène a fait que les incidents se sont transformés en une lutte ouverte entre les forces de sécurité et le groupe salafiste dominant la mosquée Ennour, ce qui a conféré à l'affaire une dimension grave et dramatique. Maintenant, la question à poser est de savoir si la confrontation va se poursuivre ou si elle va être contenue. Selon mes connaissances, il existe des efforts sérieux déployés par certains cheikhs salafistes, dont notamment Cheikh El Idriss, dans le but d'apaiser la tension. Seulement, plusieurs autres indicateurs me poussent à considérer que les actes de violence peuvent reprendre à n'importe quel moment dans d'autres régions du pays. La raison est bien simple: la mouvance salafiste n'est pas structurée et ne dispose pas d'une direction unifiée, ce qui fait que tout reste possible. Les membres de l'ANC et les partis politiques se doivent, à mon avis, d'investir le terrain dans ces mêmes régions souffrant d'exclusion et de marginalisation et d'engager un dialogue direct avec les habitants de ces cités populaires. Quant au traitement du phénomène de la violence, je pense qu'il ne revient pas exclusivement au ministère de l'Intérieur. Il s'agit d'une question de société et toutes les parties (partis, associations de la société civile, etc.) se doivent d'assumer la responsabilité qui leur est dévolue, loin des tiraillements et des luttes idéologiques.