Après un long silence qui a intrigué plus d'un observateur, la multinationale pétrolière anglo-hollandaise ouvre ses canaux de communication avec les médias tunisiens pour donner des éclairages sur la technique, très controversée, de la fracturation hydraulique de la roche mère, sur son impact environnemental et, bien sûr, ses retombées économiques et sociales. L'initiative de Shell, tant attendue par l'opinion publique avertie, vient à point pour mettre les points sur de nombreux i en suspens, même si pour la compagnie pétrolière, la préservation de son image de leader dans le domaine pétrolier est capitale. En effet, les déclarations et contre-déclarations du ministère de l'Industrie, sur la base d'accusations « fondées » et de fausses rumeurs, ont semé le doute sur ce qui est devenu l'affaire du schiste et attisé la suspicion de la société civile et des scientifiques opposés à ce procédé non conventionnel. D'emblée, il faut savoir que, selon le responsable de la communication pour la région Mena, Noureddine Wifati, Shell n'est pas en négociations avec le gouvernement tunisien à propos de l'extraction du gaz de schiste et, par conséquent, aucun contrat d'exploration ou d'exploitation n'a été signé avec le ministère de l'Industrie. L'affaire est examinée par une commission nationale dans laquelle sont représentés tous les départements ministériels concernés. La compagnie pétrolière, présente dans une centaine de pays et active en Tunisie depuis 1920, assure qu'indépendamment des retombées positives pour les deux parties, la transparence et le consensus autour de cette affaire sont des prélables à toute négociation et à tout accord ou non accord. Par ailleurs, le bruit qui a couru faisant état de l'extraction en Tunisie du gaz de schiste depuis 2010 est infondé, selon le représentant de Shell, précisant qu'à cette date, la compagnie avait obtenu une concession pour une plateforme offshore, «ce qui est totalement différent», explique-t-il. Du côté de la technique d'extraction par fracturation hydraulique, le représentant de Shell assure que le risque de contamination de la nappe phréatique par les produits chimiques utilisés dans l'eau de fracturation est maîtrisé l'expliquant par l'injection de ciment et d'acier pour isoler la roche-paroi du puits et protéger la nappe. Autre explication du chargé de la communication: le procédé ne consomme en aucun cas de l'eau potable. Selon les données géographiques et hydriques du site d'extraction, la compagnie utilise soit les eaux profondes soufrées impropres à la consommation, à plus de 4.000 mètres, soit les eaux usées traitées dans les stations d'épuration, soit de l'eau saumâtre ou de mer dessalée. Côté risque sismique , là aussi, la réponse est négative. «Le choix du site d'un forage est tributaire des études d'exploration qui tiennent compte de la structure et de la nature des sols, ce qui permet de repérer une faille quand elle existe». Toutefois, «la sensation provoquée par la fracturation de la roche ressemble à une vibration sismique». Elle serait même d'une magnitude de 2,2 sur l'échelle de Richter. L'enjeu énergétique L'activité gaz de schiste est récente et les compagnies d'exploration et d'exploitation n'ont pas suffisamment de recul pour conforter leurs études par des données scientifiques irréfutables. C'est pourquoi les retombées économiques restent leur vrai cheval de bataille et les raisons essentielles pour lesquelles Shell, notamment, a utilisé cette technique d'extraction du gaz de schiste, en l'occurence aux USA, en Chine et en Afrique du Sud, qui a levé son moratoire il y a deux mois. Les USA sont passés, en l'intervalle d'une dizaine d'années, du statut de pays importateur de gaz à celui d'exportateur. La donne de la sécurité énergétique pèse de tout son poids dans cette affaire, au point que l'on s'interroge sur les raisons, non avouées peut-être, qui poussent un pays comme la France à instaurer un moratoire sur l'extraction du gaz de schiste. Le nucléaire serait-il une de ces raisons ? S'agissant de la Tunisie, dont les ressources naturelles sont, on le sait trop bien, limitées, le prix vaut-il la chandelle? Le prix étant les risques de dégradation de l'environnement pour les générations actuelles et futures, et la chandelle, peut-être, la chance pour la Tunisie de réduire, voire d'annuler sa facture énergétique par ses propres ressources, sans débourser un millime pour les études et les travaux d'exploration et d'exploitation du gaz de schiste, de créer des milliers d'emplois et de former des compétences tunisiennes dans un domaine nouveau et performant. Du côté de Shell, on est convaincu que le sol tunisien contient du gaz de schiste même si à ce stade, en l'absence d'exploration sur le site qui peut durer deux ans, il est impossible de déterminer exactement le potentiel. Du côté tunisien, la polémique autour de l'extraction du gaz de schiste reste entière. En mal de transparence L'initiative de la multinationale Shell de contacter les médias pour donner son point de vue sur l'affaire du gaz de schiste est positive en ce sens qu'elle permet , d'une part, d'accéder au maillon qui manquait à la chaîne et, d'autre part, d'avoir des réponses à des interrogations techniques et scientifiques. Mais l'on aurait souhaité plus de transparence dans les déclarations du ministre de l'Industrie, tantôt annonçant la prochaine signature d'un contrat d'exploration avec la compagnie Shell, tantôt la niant catégoriquement, en fonction du tollé et des manifestations de rues provoquées par cette affaire. L'intervention de la multinationale, dont la notoriété n'est pas à démontrer, aurait, au moins, servi à nourrir des débats constructifs. Aujourd'hui, le problème reste entier et la crédibilité du ministère de l'Industrie sur la balance. Une bonne stratégie de communication, convaincante et constructive, aurait opté pour une conférence de presse ou un débat sur un plateau de télévision, en présence des représentants du ministère, de l'Etap et de différentes compagnies pétrolières opérant en Tunisie, pour crever l'abcès et donner ainsi aux Tunisiens les moyens de comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire, dans la transparence la plus totale, et de faire le bon choix pour l'avenir de leur pays et de leurs enfants. Il n'est jamais trop tard. A.Z.