«Pour aboutir au régime politique actuel, il aura fallu à l'Allemagne l'expérience de deux échecs politiques, que sont le gouvernement de Weimar puis celui du sinistre gouvernement hitlérien» c'est en ces mots que, Hardy Ostry, patron de la puissante ONG Konrad Adenauer Stiftung (KAS) en Tunisie a choisi d'entamer la journée d'étude consacrée aux «régimes politique et les garanties de la démocratie» qui s'est tenue hier à Tunis, dans le cadre d'un projet réunissant la KAS, l'Institut arabe des droits de l'Homme et l'Institut de presse et des sciences de l'information. Et c'est encore un véritable «marché» des modèles qui s'est ouvert en séance matinale, avec la présence du docteur Karsten Grabow, vantant les mérites d'un régime parlementaire allemand, et du docteur Ahmed Boujdad, énumérant les vertus d'un régime mixte marocain. C'est en tout cas ce qu'assure Karsten Grabow, expert politique chez la KAS, qui explique qu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les alliés ont appuyé la démocratisation de l'Allemagne de l'Ouest en suggérant un régime parlementaire. Une idée qui a facilement trouvé écho auprès de la classe politique allemande vu les échecs passés des régimes favorisant la mainmise d'une seule et unique personne sur le pouvoir. Mais nous pouvons résumer l'idée en une recherche d'un système qui puisse répondre aux attentes des citoyens. «Ce que tout le monde a essayé de faire à cette époque en Allemagne, c'est de faire en sorte d'éviter le retour à la situation dans laquelle une seule personne décide», raconte Dr Grabow. En République fédérale d'Allemagne, qui, comme son nom l'indique, est composée de 16 fédérations appelés «Länders», les citoyens se déplacent aux urnes pour élire les membres du Bundestag (le Parlement allemand). Ce tout-puissant Bundestag ainsi constitué avec ses différentes sensibilités politiques entame un processus de négociations interne pour parvenir à l'élection du nouveau chancelier qui formera un gouvernement. «L'électeur allemand est parfois frustré de ne pas voir le chancelier être de la même couleur politique que le parti ayant obtenu le score électoral le plus élevé», confie cet expert. En effet, dans un mode de scrutin qui ne permet pas la domination d'un seul parti, il est difficile de crier victoire sans négocier avec les autres groupes parlementaires. Cependant, c'est de là que le régime allemand puise toute sa force, puisque qu'un régime parlementaire conjugué à un mode de scrutin équitable, aboutit finalement à une démocratie consensuelle. D'autre part, Dr Grabow admet qu'un des défauts du régime parlementaire est que la séparation, chère à Montesquieu, entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif n'est pas nette. Se débarrasser des idées reçues sur les régimes présidentiels Seule intervenante tunisienne dans le débat, Salsabil Klibi, enseignante en droit constitutionnel, qui défend en coulisse l'idée d'un régime mixte, explique dans son intervention qu'il est faux de penser que le régime présidentiel est un régime dans lequel le président détient tous les pouvoirs. «Ce que nous avons vécu depuis l'indépendance est un régime présidentialiste dans lequel le président détient le pouvoir de l'exécutif et aussi la représentation de l'Etat, les ministres étaient uniquement liés au président qui les nommait et les limogeait sans en référer au parlement», continue-t-elle. Pendant plus de 50 ans, la présidence de la république s'est accaparée la totalité des pouvoirs, sans être responsable vis à vis de personne ni parlement, ni tribunal, ni même devant le peuple. Par contre, un réel régime présidentiel est construit sur une véritable séparation des pouvoirs et surtout, l'équilibre entre ces pouvoirs. «L'affirmation de Montesquieu selon laquelle le pouvoir arrête le pouvoir trouve tout son sens dans un régime présidentiel dans lequel le président tire sa légitimité directement du peuple et trace la politique générale du pays, et le parlement, pour sa part, peut, par les lois qu'il promulgue, empêcher le président de succomber aux dérives d'accaparement du pouvoir», explique l'intervenante. Quant au pouvoir judiciaire, il reste le garant de la survie du régime politique du pays puisque c'est à lui et à lui seul que revient la délicate mission de départager les pouvoirs législatif et exécutif en cas de conflit. D'un autre côté, Salsalib Klibi admet que la légitimité électorale détenue par une seule personne peut dériver facilement en une dictature, tout en critiquant certains «pro» du régime présidentiel, qui y recherchent consciemment ou inconsciemment la figure du père. «Au Maroc, le palais n'a jamais eu le pouvoir absolu» Même si cette affirmation ne peut être totalement vraie, le professeur universitaire marocain Ahmed Boujdad y croit. «Le Maroc a opté pour le pluralisme dès le début», selon notre intervenant, qui voit dans le régime marocain, un régime mixte. Le professeur explique ce concept assez flou par le fait qu'entre les deux régimes (présidentiel et parlementaire) il prend ce qu'il y a de mieux. «Dans le régime mixte, le président de la République est élu au suffrage universel et le parlement élu dispose de larges prérogatives», résume-t-il. Sans entrer dans les détails du système politique marocain, le conférencier s'en prend aux régimes parlementaires et présidentiels. Selon lui les régimes présidentiels ont prouvé leurs limites dans les pays de l'Amérique latine (à l'image d'Hugo Chavez au Venezuela). Quant au régime parlementaire, il ne peut être pratiqué que par des pays ayant une tradition démocratique. «La transition démocratique doit être conduite par un régime politique mixte qui entraîne la classe politique à la pratique démocratique», conclut-il La loi sur l'exclusion est non conforme aux lois internationales La deuxième séance a vu l'intervention de Farhat Horchani, professeur de droit public, qui s'est intéressé au régime électoral à même de garantir la démocratie et le pluralisme D'emblée, le professeur paraît pessimiste au sujet des prochaines élections. Pour lui, les élections ne seront peut-être pas aussi réussies que les élections précédentes (réussite toute relative) vu que le gouvernement de l'époque n'était pas concerné par le résultat du vote. Estimant que le meilleur mode de scrutin est celui qui profite d'un maximum de sensibilités politiques, il critique le projet de loi du CPR sur l'exclusion des anciens dirigeants, jugeant qu'il n'est pas en conformité avec le pacte international sur les droits civiques et politiques ratifié par la Tunisie. «Maintenir ce projet risque d'avoir des conséquences peu souhaitables puisque, le Tribunal administratif peut annuler toute décision de l'exécutif dans ce sens, en s'appuyant sur le pacte international sur les droits civiques et politiques», explique l'intervenant. Rôle des organisations de la société civile et médias dans une démocratie Le professeur Mustapha Letaïef s'est quant à lui intéressé aux médias et à la société civile dans une démocratie. Il admet qu'il est difficile de parler du rôle des médias et société civile puisqu'ils sont à la fois l'objet et le moyen de la transition démocratique. Tout d'abord, il ne peut y avoir de société civile véritable sans qu'il y ait une véritable citoyenneté. D'autre part, Mustapha Letaïef explique que bien que les médias se doivent d'être indépendants, ils doivent également être impartiaux. «Un service public, comme son nom l'indique, doit servir le public», continue l'intervenant. A quand un modèle tunisien ? Durant deux années, les ONGs, qui puisent leur financement des Etats occidentaux, ont dépensé des sommes considérables pour organiser séminaires et tables rondes et provoquer des débats (d'ailleurs assez intéressants et fructueux) et favoriser les échanges d'expériences. Dans chacune des problématiques, les protagonistes de «modèles» étrangers sont invités pour promouvoir leurs expériences. Il est important de se demander, si après deux années de la chute du régime, le temps n'est pas venu pour commencer à concevoir le modèle tunisien.