Contre l'oubli, la Tunisie a besoin de quelle mémoire ? Une question si pertinente et d'actualité qu'elle a pu éveiller l'imagination de tout un passé dictatorial qui avait façonné, à son gré, la personnalité d'une nation dont l'avenir était jusque-là hypothéqué. «Le labo démocratique», jeune association tunisienne à caractère scientifique, a pris l'initiative pour faire de la mémoire collective du pays et les archives de ses institutions un festival symbolique dont la première édition s'est achevée, hier, au centre culturel de Tunis situé dans les anciens locaux du PSD-RCD à La Kasbah. Sa présidente, Mme Farah Hached, nous a affirmé que le choix du lieu de ladite manifestation n'est pas arbitraire. Mais, plutôt, il se réfère à d'autres motivations significatives : comment peut-on transformer l'ex- siège de la tyrannie et de l'hégémonie en un simple mémorial d'apprentissage démocratique. Un semblant de musée, où l'on peut préserver les droits des générations à appréhender leur passé pour en tirer les enseignements et revivre l'histoire autrement. Tout comme la prison de la Stasi en Allemagne de l'Est, référence à la dictature communiste après la Seconde Guerre mondiale, qui s'est érigée aujourd'hui en un mémorial des victimes de la police politique. Plus connu sous le nom «Mémorial BerlinHohenschonhausen», ce dernier a collaboré à l'organisation dudit festival à Tunis. Un échange d'expériences germano-tunisien, pour ainsi dire. Trois jours durant, des conférences, des projections et des témoignages d'anciens détenus n'ont pas manqué d'animer le débat et donner la parole au large public présent pour se rappeler les temps révolus, revivre l'instant oublié et reconstruire les faits. Ancien prisonnier politique, Mohamed Hedi Ozari, nous a fait part de son expérience carcérale durant un an et quatre mois à la prison de Borj Erroumi et du «9 Avril». Il a évoqué ses douloureux souvenirs derrière les verrous, sous l'emprise de ses tortionnaires. L'homme avait subi toutes les formes de la souffrance psychique. Aujourd'hui, il s'attend à ce que justice soit faite. Comment peut-on surmonter l'histoire du temps présent en Tunisie ? Une question problématique dont l'objectif est de discuter des idées, des perspectives et des défis pour tourner la page de la dictature et ouvrir celle de la démocratie. L'essentiel est de réfléchir sur la mémoire de la Tunisie et des Tunisiens, laquelle a été confisquée pendant de longues années d'oppression. «Aujourd'hui, après la révolution, il s'avère très important de se réunir, toutes sensibilités confondues, autour d'un objectif commun : la sauvegarde de la mémoire collective et le traitement des erreurs du passé...», déclare Mme Hached. En cette journée de clôture, l'accent a été mis sur l'indemnisation des victimes et les possibilités d'en réparer les dommages d'ordre moral, matériel et professionnel qu'elles avaient subis pendant les années de braise. Pour voir venir, ensuite, la justice transitionnelle, tant attendue et dont les procédures constitutionnelles traînent encore en longueur. Hichem Chérif, membre de la commission du dialogue national pour la justice transitionnelle, a marqué son intervention par une lecture juridique du concept en question, montrant que le dédommagement des victimes devrait se baser sur des preuves irréfutables et que l'établissement de la vérité impose le recours aux archives. Et la police politique en Tunisie en est la pièce maîtresse pour découvrir les dessous des affaires. Mais, M. Chérif s'est déclaré contre toute loi promulguée hors du cercle judiciaire. Comme celle relative à l'immunisation de la révolution, un projet de loi en gestation qui fait actuellement l'objet d'une forte polémique politique. «Un projet de loi qui se fonde sur l'esprit d'exclusion, sans avoir recours aux principes de la justice transitionnelle. Donc, je n'accepte pas que les choses soient prises de cette façon», justifie-t-il. Et M. Mohamed Salah Ben Aissa, juriste et ex-secrétaire d'Etat au sein du gouvernement de Caid Essebsi, lui aussi s'est montré pour cette logique des choses. Seule la justice, a-t-il expliqué, est en mesure d'identifier les crimes et d'arrêter les coupables ou de les éloigner de la vie politique. «Mais, malheureusement, depuis le 14 janvier, la justice transitionnelle n'a pas encore trouvé la bonne voie, d'autant plus que la perte du temps risque de brouiller les cartes et faire échouer le processus de reddition des comptes et retarder l'objectif de la réconciliation nationale», a-t-il déploré. Car, poursuit-il, ce retard accusé pourrait faire réapparaître, déguisés en victimes, les coupables de l'ancien régime pour reprendre de plus belle. M. Noureddine Hached, fils du leader martyr Farhat Hached, nous a également parlé des difficultés du processus de l'affaire de l'assassinat de son père, alors qu'il a en sa possession des documents justificatifs condamnant l'Etat français. Maintenant, il s'est dirigé vers la Cour européenne pour y déposer plainte.