Chaque semaine apporte du nouveau au sein des institutions sanitaires de Sfax. Grèves, sit-in, fermeture des hôpitaux, interventions musclées des forces de sécurité, bras de fer entre administration et syndicats de base... Bref, la situation demeure tendue au sein d'institutions censées guérir les maux des uns et calmer les esprits des autres. Gros plan sur une situation de crise. Près de la moitié de la population tunisienne se soigne à Sfax! S'ajoute à cela le nombre très important de Libyens qui viennent à Sfax en quête de soins, cette ville devient le premier pôle sanitaire à l'échelle nationale et dépasse de loin la capitale, Tunis. Car les établissements sanitaires de Sfax sont la destination non seulement de plus d'un million d'habitants de la région mais aussi de neuf autres gouvernorats. Ces établissements, qu'ils soient privés ou publics, seraient- ils en mesure de fournir des prestations sanitaires de qualité et de répondre à une demande de plus en plus croissante en la matière? Il est rare de trouver tout le monde unanime sur un fait. Patients, syndicats et administration affirment que les prestations sanitaires fournies par les établissements sanitaires publics sont médiocres! Celles fournies par les établissements sanitaires privés sont bonnes mais elles sont très chères et revêtent un aspect pratiquement commercial. Ainsi, si la majorité des cliniques privées de la région se sont enrichies, les établissements publics se sont, en revanche, trouvés dans une situation de plus en critique marquée essentiellement par le manque de moyens matériels et de compétences humaines. Un héritage très lourd Laissons le privé compter son argent et parlons un peu du public, destination des démunis. Les deux hôpitaux universitaires de la région sfaxienne sont débordés. Ils sont la destination des patients de neuf autres gouvernorats. Une pression énorme s'exerce sur des établissements sanitaires eux-mêmes en quête de rénovation, d'équipements et d'infrastructures de base désormais incapables de répondre à une demande de plus en plus croissante, mais aussi de plus en plus exigeante d'une meilleure qualité de prestations sanitaires. «Une revendication légitime» selon le directeur régional de la santé de Sfax qui ne manque pas de souligner que la région a toujours souffert d'une marginalisation tous azimuts qui a touché essentiellement le secteur de la santé. «Un héritage très lourd dont on ne peut pas se débarrasser du jour au lendemain», insiste-t-il. Toutefois, il ne faut pas oublier que le patient «est toujours impatient!». «Arracher un rendez-vous dans six mois n'est plus acceptable», s'indigne un patient qui a quitté son domicile à quatre heures du matin et qui a fini par être informé, à midi, qu'il doit revenir dans quelques mois! «D'ici là, je pourrais mourir sans pour autant rencontrer un praticien!». Autre problème de taille, le manque cruel des médecins spécialisés. Or, dans une ville universitaire, le manque de la médecine de spécialité nous intrigue. Où sont-ils passés ces praticiens de plus en plus sollicités par les établissements sanitaires publics? La réponse est simple, voire banale : ces messieurs préfèrent travailler dans des cliniques privées pour gagner cinq à six fois de plus ce «salaire de misère» proposé par le ministère de la Santé. Les recettes des cliniques de Sfax dépassent de loin celles des hôtels de Hammamet. Le tourisme médical à Sfax est prospère, les cliniques privées aussi mais toujours au détriment des établissements publics de santé. Tension Le bras de fer classique entre administration et syndicat est désormais quelque chose de très ordinaire. A Sfax, les syndicats de base des deux hôpitaux universitaires sont les maîtres à bord. Très puissants, ils font ce qu'ils veulent! Grèves générales, fermetures répétitives des hôpitaux, agression de l'administration, organisation de cérémonie de mariage dans l'enceinte de l'hôpital universitaire Hédi-Chaker... la liste des dépassements est longue mais toujours dans l'impunité totale. L'intervention musclée à plusieurs reprises des unités de sécurité pour rétablir l'ordre, notamment à l'hôpital Hédi-Chaker, n'a fait que monter la tension dans un établissement censé guérir les maux des patients dans la quiétude la plus totale. Des bombes lacrymogènes ont été lancées à plusieurs reprises dans l'enceinte dudit hôpital pour essayer de disperser ceux qui ont occupé par la force le siège de l'administration de cet établissement. Bref, la tension qui a marqué les hôpitaux de Sfax, notamment après la révolution, n'est plus acceptable. Règlement de compte ! Lorsqu'une infirmière insulte un médecin, on ne peut plus parler ni de discipline ni de respect du lieu du travail. Or, à Sfax, le corps paramédical semble devenir le seul maître à bord au sein des institutions sanitaires de la région. Soutenu par un syndicat de base très puissant, le paramédical est aujourd'hui le seul qui trace les règles du jeu. Les praticiens, eux, doivent désormais composer avec cette nouvelle réalité. Est révolu le temps où le médecin est le premier responsable de son département. Certains observateurs n'hésitent pas de parler de «règlement de compte» entre infirmiers et médecins. Car cette relation a été avant la révolution marquée par la domination au vrai sens du terme par des «praticiens souvent arrogants», commente Fethi qui a passé près de la moitié de sa vie en tant que technicien à l'hôpital Hédi-Chaker. Une relation, ajoute-t-il, qui doit être revue et bâtie sur des bases solides, à savoir respect mutuel, complémentarité et entraide. Des valeurs qui méritent d'être promues davantage pour permettre à ces institutions de santé de jouer pleinement leur vrai rôle loin des calculs politiques.