Dans le milieu politique survolté, un noyau dur : tous ces jeunes qui s'activent au sein des partis avant et après la révolution du 14 janvier . Ils sont tout autant conquis par le militantisme que par le pouvoir. Par la liberté que par l'espoir. Leurs intimes convictions de jeunesse les guident vers le centre, la droite, la gauche. Ils s'y accrochent pour imposer leurs idéaux. Du haut de leur engagement partisan, ils savent que l'avenir du pays leur appartient, inexorablement. Ne sont-ils pas les futurs politiciens de la Tunisie ? Amina Dridi, 23 ans (Ennahdha) : La benjamine en mouvement Elle est née sous un régime dictatorial. Elle en connaît les méthodes, les vices. Elle en a souffert comme toutes celles qui portaient des robes longues et le voile. Celles, qui, pendant le règne de Ben Ali, étaient victimes d'une circulaire. Il fallait croire en sa bonne étoile et ne point renoncer à ses croyances. «Dans la rue, dans la cour du lycée, pendant les examens,... je pouvais être interpellée à tout moment. Je m'y préparais ...». Au fond d'elle, une sorte de présomption : sous la braise de la dictature, se cacherait une délivrance... «Je me disais que cela ne pouvait durer indéfiniment». Emna Dridi va jusqu'au bout de cette confiance en l'avenir, en soi. Décembre 2010, elle investit le réseau social Facebook, rallume les étincelles d'une révolution annoncée, contacte ses amis, mobilise ses connaissances... Le 14 janvier 2011 : mission accomplie juste à 21 ans. Etudiante en troisième cycle «Informatique» a l'Institut supérieur de gestion de Tunis, Emna Dridi réalise un vœu pieux : deux ans après, elle siège désormais au Conseil de la choura du mouvement Ennahdha. La plus jeune des élus. Ses parents étant militants au sein du mouvement, l'élue revendique néanmoins son choix partisan. Son engagement au sein d'Ennahdha n'est pas une «affaire de famille». Le mouvement exprime ses «attentes», ses «objectifs».... Bref, «ma vision de la Tunisie de demain». Sur ses opinions, elle affiche ceci : «Il n'y a pas de contradiction entre les valeurs universelles des droits de l'Homme et les principes de l'Islam. Je milite pour l'égalité entre tous, pour la justice et la bonne gouvernance». Sur les droits de la femme, elle renchérit : «La femme doit bénéficier de tous ses droits, ce n'est pas un cadeau... Elle doit avoir le choix de s'habiller, de travailler, de se marier ...L'article 28 a été mal interprété...» Sur la polygamie, elle pense que «la société tunisienne d'aujourd'hui n'est pas en mesure de l'appliquer» et, qu'actuellement, «ce n'est pas une priorité». Au quotidien, la militante gère un emploi du temps chargé, hiver comme été : «Depuis deux ans, ma vie s'est complètement transformée. Mes journées sont réparties entre mes études à l'Institut, les débats au conseil de la choura, au bureau des étudiants d'Ennahdha, les rencontres avec les étudiants, avec les citoyens, ...» Elle rajoute : «je sors avec mes amies, je fais du shopping, je me fais plaisir». Lors des dernières élections, elle a passé l'été à faire de la sensibilisation et du porte-à-porte. Elle distribuait des tracts et expliquait aux électeurs le programme du parti. «La communication est essentielle», dit-elle. «Les gens avaient peur d'Ennahdha, ils craignaient pour leur liberté, la tâche n'était pas aisée». Elle rappelle «que la religion n'est l'apanage de personne». Elle s'insurge contre les amalgames, contre les mauvaises interprétations. La plus jeune élue parmi les nahdhaouis suit de très près ce qui se passe au sein de l'Assemblée constituante et au sein du parti. Du haut de ses 23 ans, elle a son mot à dire. «Les jeunes doivent s'imposer. Nous avons la chance de pouvoir nous exprimer après des décennies de censure». L'informaticienne sait de quoi elle parle... Fadhila Ben Feki, 28 ans (Front populaire) : Un lendemain qui chante Derrière ses lunettes, sous ses cheveux bouclés, un regard pétillant qui en dit long sur sa passion : la politique et ses ébullitions. Animatrice dans un jardin d'enfants, inscrite en troisième année Lettres anglaises et chanteuse dans une troupe musicale engagée, Fadhila Ben Feki, n'a d'yeux que pour le militantisme au sein du Front populaire. Pour elle, l'agitation de l'après-révolution est tout aussi normale que naturelle. Celle qui luttait clandestinement pour les libertés et la justice sociale est tout simplement dans l'action de l'après-révolution. Elle se rappelle de toutes ces années passées dans une patrie qui ressemblait à une geôle, où l'on était citoyen clandestin dans sa propre région, dans son quartier. «J'ai intégré l'Union générale des étudiants tunisiens en 2007. Je ne pouvais rester sans rien faire alors que mes camarades s'entassaient dans les prisons, que le bassin minier se rebellait, que mes amis proches ne trouvaient pas de quoi manger. On se partageait un dinar, on se soutenait dans nos pires moments d'angoisse... Chaque blessé, chaque martyr me donnait une force nouvelle» Elle se lance dans le militantisme...au grand malheur de ses parents «Etre fille révolutionnaire, il faut l'assumer». Elle se déplace dans les régions munie d'une liberté acquise au prix du sang. Elle était récemment à Jbeniana où l'attendait un autre son de la Tunisie «nouvelle». «Je me dois d'honorer la mémoire des martyrs, ils ne sont pas morts pour rien». De sa voix, résonne un chant de lutte. Elle organise des spectacles, discute avec les jeunes et expose ses idées et ses valeurs pour une Tunisie meilleure: «Ceux qui adhèrent au Front populaire le font pour des principes immuables, ce n'est ni pour la religion ni pour l'argent», lance-t-elle fièrement. Elle précise : «Le peuple tunisien est musulman. Je ne comprends pas ce choc entre athées, laïcs et croyants». Au plus profond de ses convictions, ceci : «la vraie lutte n'est pas entre hommes et femmes, elle n'est pas non plus pour l'identité. C'est une lutte pour l'égalité entre les couches sociales, contre la pauvreté et l'exclusion». Elle ressuscite Marx et Engels pour se justifier. Interrogée sur la chute du mur de Berlin, l'effritement de l'empire soviétique et le déclin du communisme, elle répond avec ardeur : «L'histoire est en perpétuel mouvement. Chaque épisode se construit sur celui d'avant et tout se forme à partir du réel ...Notre idéal n'est pas chimérique». Fadhila Feki estime que le peuple tunisien prend de plus en plus conscience des enjeux de la révolution. Il est plus averti qu'avant le 23 octobre dernier. Pour elle, le 14 janvier, ce n'est pas terminé : «Les menaces sur les libertés et sur les droits de l'Homme planent toujours ; il n'est pas question que nous subissions une nouvelle dictature», lance-t-elle avec détermination. Dans ses projets, une société évoluée. «Nous devons instaurer une nouvelle culture, faire en sorte que la jeunesse soit mieux éduquée, mieux cultivée..» ; Un chant d'espérance, enfin : «Je ne vois pas la Tunisie faire marche arrière». Maher Toumi, 36 ans (El Joumhouri) : Le militantisme en héritage Avec un groupe de jeunes, il fonde la «Voie du centre» en 2011: «Mon ambition était de créer un parti qui rassemble et ressemble aux jeunes». Maher Toumi prend part aux meetings, prononce des discours et rappelle à chaque fois les principes républicains «Je milite pour une République ouverte sur le monde et bien ancrée dans son environnement arabo-musulman», scande le militant. Après les résultats du 23 octobre, il était parmi ceux qui appelaient de leurs vœux à l'union des démocrates «Il était urgent de fusionner dans un parti qui porte toutes nos valeurs et mettre fin à l'éparpillement des listes et des partis». Le parti El Joumhouri est né de cette volonté. A 36 ans, il est le secrétaire général de la fédération de Tunis et membre de la commission de communication. A travers des sessions de formation, le contact direct avec le citoyen, les déplacements dans les régions et l'abnégation, le militant d'El Joumhouri veut conquérir le pouvoir dans «un esprit de pluralisme et de modernisme». Il rappelle que les jeunes d'El Joumhouri sont les premiers à avoir organisé leur congrès au terme duquel une structure a été élue ainsi qu'une représentativité régionale. Une destinée familiale : «Mon père est destourien. Il a participé au mouvement de l'indépendance à l'âge de 17 ans et fut arrêté à deux reprises pour avoir défendu une Tunisie libre et souveraine...» Maher Toumi a hérité d'une vocation transmissible et d'un engagement permanent. Au temps de l'ancien régime, où l'action politique était verrouillée, il ne lâche pas prise. «J'ai foncé dans l'arène de la société civile dès mes études supérieures...» Du signe du taureau, le jeune étudiant est élu membre du comité des étudiants de l'Institut national d'agronomie de Tunis, «le seul à ce poste de toute l'école préparatoire». Il était aussi le seul membre du comité d'organisation du centenaire de l'Inat. Il va fonder par la suite le comité des étudiants à l'Ecole supérieure d'horticulture et d'élevage de Chatt Mariem et devenir son premier président. Autant d'activités et de distinctions avant que n'éclate une révolution à laquelle il allait participer à 34 ans. Commence dès lors une activité politique en bonne et due forme, comme il en avait toujours rêvé. Et il ira jusqu'au bout de sa vocation : Maher Toumi décide d'abandonner son métier d'horticulteur pour se consacrer entièrement à la politique. Une décision qui s'inscrit dans la logique des choses «D'abord je veux vivre pleinement ma passion, puis je pense que la scène politique depuis la révolution nécessite un réel engagement, enfin je veux être présent sur le terrain, contribuer au développement régional et réaliser l'un des objectifs de la révolution : la justice sociale». Et ce n'est pas fini : il reste convaincu que le processus démocratique dans lequel la Tunisie est engagé est aussi irréversible que continu.