Par le Pr Samir Marzouki Les intellectuels tunisiens qui n'ont pas pu se rendre à Kairouan au moment où cette ville rendait hommage à son poète, Jaafar Majed, à l'occasion du quarantième jour après son décès subit, ont pu, grâce à Beït al-hikma, célébrer le souvenir de ce grand poète, dans le cadre d'une cérémonie organisée par cette institution vendredi 21 mai dernier. Placée sous le patronage de M. Abdallah Kallel, Président de la Chambre des sénateurs à laquelle le défunt avait appartenu et ouverte par le Pr Abdelwahab Bouhdiba, Président de l'institution organisatrice, cette cérémonie a permis d'écouter successivement le poète Noureddine Sammoud qui a lu un poème composé à l'occasion de la mort de celui qui fut, avec lui, l'une des figures principales de la rénovation de la poésie tunisienne de langue arabe dans les années soixante, le fils de Jaafer Majed, le poète Moez Majed, qui a pris la parole au nom de la famille du défunt, Mohamed Raouf Yaïch, l'homme des médias connu, le Pr Mohamed Yaalaoui, doyen des études littéraires arabophones, Abderrahmen Keblouti, figure connue de l'enseignement et de la recherche, Mohamed Mwa'da, sénateur et universitaire, et enfin l'homme de radio Adel Youssef qui a lu des poèmes du poète disparu. Les évocations qui furent faites de l'homme et de l'œuvre étaient poignantes et bien des larmes ont pointé au souvenir de l'énergie qui habitait cet infatigable fureteur, un de nos meilleurs poètes mais aussi un universitaire accompli, un animateur hors pair de la scène culturelle qui avait su créer et pérenniser des projets importants dans ce domaine et ne s'était jamais enfermé dans une tour d'ivoire. Le Pr Bouhdiba, dans une allocution d'ouverture concise et synthétique, en rappelant la collaboration de Jaafar Majed à l'institution à la destinée de laquelle il préside, notamment sous la forme de deux ouvrages publiés à l'occasion de la célébration de l'année de Kairouan en tant que capitale de la culture islamique, année dont il avait eu l'honneur d'être nommé coordonnateur par le Président de la République, Kairouan dans le cœur des poètes et Anthologie kairouanaise, mais aussi la réception, quelques jours avant sa mort, de la traduction en français de son ouvrage capital, Mohamed, le prophète homme, réalisée par le Pr Kamel Gaha, a remarquablement résumé les pôles essentiels de l'œuvre protéiforme du défunt : la nostalgie de la vie et de l'existence, la tendresse envers les êtres et l'engagement patriotique et religieux. Moez Majed, digne mais manifestement bouleversé par l'émotion, a rappelé l'apport de feu son père à la culture tunisienne dont il restera, à tout jamais, une des figures les plus marquantes, à savoir une vingtaine d'ouvrages publiés, compte non tenu de ses recueils de poèmes, et aussi la création de l'espace culturel Rihab al-ma'rifa, librairie, club littéraire et revue irremplaçable. Il a annoncé que, pour perpétuer la mémoire du défunt, il prenait sa succession dans la direction de cette revue et présenté le seul numéro publié après la mort de son père, numéro consacré à un hommage au poète disparu. Mohamed Raouf Yaïch a présenté une communication parfaitement documentée et illustrée par des extraits sonores qui ont ressuscité la voix du disparu, auteur de nombreuses émissions radiophoniques. Dans cette communication, la carrière d'homme de radio du défunt a été mise en exergue de même que son apport en tant que parolier de chansons. Commencée dans les années soixante, cette carrière a vu se succéder plusieurs émissions consacrées à la poésie, aux nouvelles parutions en lettres et sciences humaines, aux rapports entre poésie et chanson. Quant à l'œuvre du parolier, elle comporte des chansons d'amour, des chansons patriotiques et des chansons à thématique religieuse qui sont au nombre d'une soixantaine, le poète ayant eu à collaborer avec les meilleurs compositeurs et interprètes tunisiens. Le Pr Mohamed Yaalaoui a concentré, quant à lui, sa communication, sur l'apport de l'espace Rihab al-Ma'rifa et de la revue du même nom, fondés par Jaafar Majed et défendus bec et ongles par lui grâce à l'énergie qui le caractérisait ainsi qu'à la notoriété qu'il avait sur la scène culturelle tunisienne. La revue a pu ainsi atteindre 72 numéros de son vivant et atteindre sa treizième année, ce qui en fait un cas unique dans les annales tunisiennes. Le conférencier s'est réjoui de la pérennisation de ce projet et de sa survivance à son fondateur et rappelé que la librairie servait d'espace culturel, club littéraire du dimanche, à l'instar de bien d'autres, mais aussi lieu de débats organisés qui étaient rettransmis à la radio ou alimentaient les émissions du défunt ou les colonnes de sa revue. Le Pr Abderrahman Keblouti, spécialiste du poète kairouanais Chédly ‘Atallah, a présenté une communication originale, qui a retracé, à travers les poèmes de ce dernier où il est question de Jaafar Majed qui fut son ami en dépit de leur différence d'âge, 41 ans, les relations qui ont uni ces deux poètes et leurs échanges sur le plan poétique. Le Pr Mohamed Mou'ada a évoqué, à partir de la poésie de Jaafar Majed, le poète s'exprimant en tant que grand-père, rappelant L'Art d'être grand-père de Victor Hugo et montrant que, chez le poète tunisien, les adresses aux petits enfants, notamment les garçons, sont l'occasion d'évoquer les difficultés de son propre parcours et de donner une leçon de courage, d'endurance et de patriotisme. Enfin, la voix mélodieuse de Adel Youssef, qui n'a pas perdu grand-chose de sa force et de sa limpidité, a lu un choix de poèmes de Jaafar Majed, qui a fait ressortir ses thèmes principaux, la subtilité de son écriture, son sens du rythme et l'immense charge émotive qui habite ses textes.