«En 2013, il faudra plus encore se méfier de la docte ignorance des experts». Dans une tribune parue début janvier dans le journal Le Monde, le sociologue et philosophe Edgar Morin épingle avec une rare virulence la myopie des autoproclamés experts et leur incapacité de saisir la complexité des réalités. Cette incapacité a une incidence dramatique sur la sphère de la décision et sur les responsables politiques et sociaux que ces mêmes experts prétendent éclairer. «Tout notre passé, même récent, fourmille d'erreurs et d'illusions, l'illusion d'un progrès indéfini de la société industrielle, l'illusion de l'impossibilité de nouvelles crises économiques, l'illusion soviétique et maoïste, et aujourd'hui règne encore l'illusion d'une sortie de la crise par l'économie néolibérale, qui, pourtant, a produit cette crise. Règne aussi l'illusion que la seule alternative se trouve entre deux erreurs; l'erreur que la rigueur est remède à la crise, l'erreur que la croissance est remède à la rigueur». Les premiers visés sont, on l'aura compris, cette belle brochette que forme la multitude de stratèges et d'experts d'institutions aussi prestigieuses que celles de Bretton Woods qui, penchés dans leurs bureaux sur une mappemonde, décident de la thérapie à prescrire à une contrée du village-monde ! Viennent ensuite une autre multitude d'experts qui, à l'échelle de la dite contrée, arpentent les couloirs des départements ministériels et évaluent la dose administrable de la politique-thérapie. De tout ce protocole, les politiques ne retiennent que «les grandes lignes» à supposer bien sûr qu'ils n'aient jamais pris la peine de se pencher sur les détails. Les programmes d'ajustement structurel du FMI sont à cet égard un cas d'école ! Le 1er plan d'ajustement structurel préconisé pour la Tunisie par le FMI remonte à l'année 1986, le dernier PAS en date a eu lieu en 2000.Un programme qui, faut-il le rappeler, visait à stabiliser l'économie et à rétablir les grands équilibres structurels tels que le maintien du taux d'inflation à 5% ou la maîtrise de l'endettement et le passage d'une économie d'endettement à une économie de marché, et ce, par la restructuration des institutions économiques et surtout financières. Au regard de cet objectif et de la situation macroéconomique actuelle du pays, certains observateurs considèrent qu'il n'est nullement interdit d'apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'un nouveau plan d'ajustement structurel à moyen terme pour la Tunisie. Certains vont même jusqu'à déceler dans le récent activisme dont font montre et le FMI et la Banque mondiale en Tunisie ( le président de la BM est actuellement en Tunisie) des signes qui ne trompent pas quant à la pertinence d'un plan d'ajustement pour la Tunisie dès cette année. Cela ne semble pas tout particulièrement préoccuper les élus de l'Assemblée nationale constituante, à supposer encore qu'ils aient vent du sujet . Le gouvernement qui est en principe le mieux placé pour le savoir et qui normalement est tenu par une obligation de communication à ce sujet, est, comme chacun sait, aujourd'hui tout absorbé par un autre sujet et une autre question, semble-t-il vitale pour le pays: comment solutionner la problématique que pose un remaniement ministériel annoncé dans un contexte de déchirements et de surenchères au sein de la Troïka au pouvoir et d'opposionnisme systématique de nombre de partis d'opposition. Cette même opposition qui semble aujourd'hui verser dans les enchères plutôt que de jouer son véritable rôle auprès de l'opinion publique : éclairer en l'occurrence l'éventualité et la pertinence d'un nouveau programme d'ajustement structurel pour la Tunisie. A travers ces différentes considérations, nous entendons rendre ici hommage à Hédi Nouira, vingt ans après sa disparition. Au-delà des cérémonials et des commémorations qui sont du domaine de certains experts , c'est notre manière fort modeste, humble et sans fard de rendre le plus utile et le plus instructif possible, pour le présent et l'avenir, l'apport d'un grand commis de l'Etat, qui a eu l'audace et la lucidité de tunisifier l'administration financière et de créer la Banque centrale de Tunisie, d'un visionnaire qui a su, contre vents et marées, imposer le choix du libéralisme économique, d'ouvrir la Tunisie sur le monde de l' investissement et de «vendre la Tunisie» aux investisseurs étrangers. Rendre hommage au père de l'économie tunisienne moderne qui a su tenir tête et enfin convaincre Bourguiba à faire voter la fameuse loi 72. Un grand patriote et c'est un euphémisme, , un homme d'Etat qui, en 1975, soutenait que «la Tunisie est un pays en voie de développement. Elle a besoin de toute son énergie, de toutes ses forces pour sortir du sous-développement. Les querelles politiques pourraient venir, sans dommages, lorsque la Tunisie aura acquis un standing tel qu'elle puisse se permettre une diversification de formations politiques». Le propos peut paraître aujourd'hui anachronique, voire choquant. Mais qu'est-ce qui a depuis, et jusqu'à ce jour, politiquement changé en Tunisie ?! Hédi Nouira avait, il est vrai, appartenu à un gouvernement d'élites nationales, le gouvernement dont il était à l'époque le véritable chef, était un vivier et une réelle pépinière de chefs d'Etat... A l'époque, les experts on les écoutait non sans détachement et réserves. A méditer.